À qui tu parles? À moi.

imageLe dimanche, ma mère vient souvent souper à la maison.

C’est le juste retour des choses.

Dans la vie, chacun son tour.

Le dimanche, même les weekends pluvieux, le soleil vient toujours nous dire bonjour.

Comme ma mère.

On soupe tôt. Contrairement à tous les jours de la semaine. Pour l’accommoder, bien sûr, mais aussi par ce que le dimanche, même si on le travaille, c’est la journée où chacun se remet à zéro. Pour recommencer lundi d’aplomb.

Bref.

Dimanche, maman est venue souper.

Discussion autour de la table.

Moi: En vieillissant, je réalise que je parle tout seul.
Maman: Moi aussi, je parle toute seule. Souvent.
Moi: Toi, tu es vielle, c’est normal. (RIRE). Sérieux, je me parle vraiment tout seul.
Maman: Va chier. (Ma mère m’envoie régulièrement chier. Faut que les gens le réalisent). Quand je passe des journées, seule dans la maison, ou que je me trompe en faisant des besognes, je me parle tout haut, en me réprimandant.
Moi: Moi, c’est pareil. Je travaille devant mon ordinateur et je suis là à me questionner sur un choix de typo, de slogan ou de couleur et… Je me réponds. Oui, non, Marc, tu devrais pas faire ça. Ou tu devrais. Mais pas dans ma tête, de vive voix. Et c’est aussi de vive voix que je me réponds.
Maman: Comme moi.
Moi: Ça me rassure pas, tu sais. Me comparer à une personne de ton âge…
Maman: Va chier. (Encore! Vous êtes témoin!)

Je me parle tout seul.

Devant mon écran.

Dans ma voiture.

En courant.

Là, à l’instant, en écrivant ce billet.

Je me parle tout seul.

Et aussi loin que je me souvienne, depuis bien longtemps. Depuis l’adolescence, je dirais. Dans ma chambre. Mon cocon. Je me questionne. Je me réponds. Je me choque contre moi. Je me bourrasse. Je me remets en question. Je me challenge. Je me traite de con comme je me félicite.

J’ai longtemps capoté sur le fait que la personne à qui je m’adressais était moi-même. Entendre sa propre voix et se répondre, c’est biz au début. Mais on s’habitue. On s’apprivoise.

Je me targue souvent d’être un solitaire.

Je travaille seul.

Je suis un solo. Un loner, comme disent les anglos.

Et je me plais dans ce rôle. Contrairement à ce que les gens pensent, les autres ne me manquent pas. Je suis bien seul. Je n’ai jamais ressenti le vide de me retrouver avec moi-même.

Peut-être parce que je suis en paix avec moi-même. Je me trouve pas toujours des plus rigolos, mais je m’aime bien.

Je suis bien avec Moi.

Mais le suis-je vraiment? Ou simplement trop pour réaliser quoi que ce soit.

Je pense que se retrouver seul est sain. Et surtout salutaire. Ça nous permet de remettre les vrais affaires en perspective. De visiter une personne qu’on a tendance à négliger dans le tourbillon du quotidien. Soi-même.

Moi: Asti que chu pas certain que c’est une bonne idée…
Encore Moi: Bahhh, ça sera pas la première fois que tu vas te tromper…

Tel Tom Hanks, dans Cast Away, j’ai l’impression que je suis mon meilleur allié. Celui qui me dira si tout va bien ou le contraire. Celui qui dit : hey chummy, quoi que tu fasses, je serai toujours là.

Je suis peut-être fou.

Peut-être.

Ou seulement vieux, direz-vous.

Allez chier.

Comme dirait ma mère.

Merci Clef-Re

TM-Marcface-livreAujourd’hui, je suis retourné au bureau après un arrêt de 3 semaines.
La face gommée, le pas de travers, j’ai avancé à pas lents comme si cette façon de marcher retarderait la réalité.
Comme un boeuf qui sifflerait sur son chemin à l’abattoir.
Ma boîte aux lettres débordait de prospectus, de factures, mais pas de chèque.
Un indice de plus que la période des Fêtes est bel et bien terminée.
Fini les cadeaux.
Tout au fond du casier métallique, une intrigante enveloppe matelassée a retenu mon attention.
J’ai tout fourré dans mon sac, gravi les marches une à une en prenant le temps de les compter, convaincu que l’on avait ajouté un étage à l’immeuble pendant mon absence.
Arrivé au sommet, essoufflé d’avoir bu 22 jours de suite, je me suis retrouvé face à cette porte sombre où trône un T métallique à coté d’un clou qui jadis était recouvert d’un M.
J’ai ouvert la porte de mon bureau et une odeur de renfermé s’en est dégagée.
Rien pour me motiver.
Il y avait un squelette sur le sofa.
Mais j’ai fait comme si de rien n’était.
Rien n’avait bougé depuis mon départ.
J’ai déposé mon sac et la pile de courrier sur ma table à dessin.
Une pile par dessus une autre pile.
Comme des couches classées par catégories.
Des strates de revues.
Des strates d’esquisses.
Des strates-à-j’aime.
Une accumulation de preuves de ma légendaire procastination.
J’ai tripoté la grosse enveloppe.
Et j’ai lu Postexport.
J’ai alors réalisé qu’elle me provenait de France.
Y a que les Français pour écrire en anglais.
Je ne connais peu de personnes en France.
Quelques amis, ici et là.
Des amis réels que je vois rarement.
Des amis virtuels que je croise plus souvent.
En plongeant ma main dans le paquet, j’ai tout de suite touché des livres.
Et une carte.
Comme je viens d’une vieille génération et que mes parents m’ont toujours appris que c’est plus poli de lire les cartes avant de déballer un cadeau, j’ai fait à ma tête et regarder les livres.
Le contenu:
Le journal intime d’un arbre de Didier Van Cauwelaert.
Lyres de Francis Ponge.
Vers la sobriété heureuse de Pierre Rabhi.
Et cette petite carte carrée.
Une petite carte illustrée d’une reproduction de Jean-Baptiste Santerre.
Jeune fille à la bougie.
1700.
Après J-C.
Une jeune vieille.
Avec une peau de toile craquelée.
À l’intérieur de la carte, une écriture fluide.
À l’encre bleue.
Du style fontaine.
Pas une encre sèche d’un vulgaire Bic.
Une encre attachante.
«Cher Marc, je vous envoie trois livres symboles qui me font penser à vous, à votre esprit, à votre en-vie lectrice palpable et vaillante…»
La suite du message je la garde pour moi.
C’était signé Claire.
Ou Clef-Re.
Lectrice de ce blogue.
J’ai déposé la carte sur les livres.
Et ouvert chacun de ceux-ci pour réaliser qu’ils avaient été paraphés.
J’ai senti un sourire naître sur mon visage.
Le premier de la journée.
Je me suis senti renaître.
J’ai fait le ménage de mon bureau.
Dépiler.
Repiler.
Jeter.
Ordonner.
Mais pas trop.
En regardant l’enveloppe, je me suis senti privilégié.
Choyé.
Apprécié.
Qu’une personne que je connais à peine, prenne le temps de m’envoyer ce présent, «d’outre-océan» comme l’écrit si bien Claire dans sa plume si vivante, m’a confirmé encore une fois que la gentillesse est une arme de séduction massive.
J’ai le goût de redonner vie à ce blogue.
Merci Claire, pour ce généreux présent.
Merci pour la pensée.
Merci pour le bonheur.
xxx.

Melomarc™ – Quelques notes sur 2013

TM-13Voici un nouveau billet de la catégorie Melomarc™ qui tente de répertorier les albums de musique qui ont marqué ma vie jusqu’à maintenant. Voyez ça comme un voyage à travers mes souvenirs et ma collection d’albums; où la véritable histoire de l’album vit en parallèle de la mienne. J’ai décidé de partager ces coups de coeur musicaux sur mon blogue, mais aussi de les faire découvrir plus personnellement à certaines personnes, en leur offrant l’album décrit via iTunes. Surveillez vos boîtes de courriels, vous aurez peut-être le privilège de recevoir un de ces albums… mais surtout, ouvrez vos oreilles et vos coeurs. C’est la mélodie du bonheur

– – – – – – – – – – – – – – –

2013 n’est plus.
Une année de fou.
Jamais autant travaillé. Moi qui pensais ralentir en vieillissant, j’ai fait plus d’heures que dans mes vertes années.
Encore écouté beaucoup de musique.
En rennings, au bureau, en avion, à la maison.
Partout.
Normal que certaines pièces me ramènent où j’étais quand je les ai entendues.
Pas un best of.
Je n’ai pas cette prétention.
Juste quelques notes personnelles et musicales sur 2013

Nick Cave And The Bad Seed | Push The Sky Away : Mermaids
Ce qui fait peur dans un métier basé sur la créativité, c’est la date de péremption. Quand l’inspiration cède à l’expiration. Je n’y pensais jamais, mais plus je vieillis et plus j’y pense. Pourtant, j’ai l’impression de n’avoir jamais été aussi bon et performant. Le chanteur Nick Cave écrivait que « l’inspiration est un mot utilisé par les gens qui ne font pas grand-chose. Je vais dans mon bureau chaque jour et y travaille. Que cela me tente ou pas. » Je pense comme lui et que c’est comme ça que ce font les choses. Il faut y mettre du sien. Chercher. Travailler. Polir le joyau. Et en profiter.

Atom For Peace | Amok : Default
Pour faire suite à la créativité, Thom Yorke représente selon moi, la quintessence du renouvellement. Toujours d’un projet à un autre, avec de nouveaux collaborateurs, en constante création. Si certains artistes passent leur vie à créer le même album, Yorke avance sans regarder en arrière. Pas en ligne droite. Ça me plaît. Cette façon de rejeter une conformité et de créer. D’avancer en zigzaguant. Goûtez à ça cette année. Cassez vos moules, réinventez vos façons de faire. Prenez des routes différentes.

Daft Punk | Random Access Memories : Instant Crush
J’ai couru sur Daft Punk dans les rues de Séville. J’ai roulé Saguenay/Montréal dans le GDPL. Daft Punk, ça me rappelle ces deux événements. De se dépasser dans le sport. De se faire du bien. D’oxygéner ce cerveau. De faire pomper le coeur. Jamais autant travaillé, mais ne me suis jamais autant entraîné. Ceux qui disent qu’ils n’ont pas le temps, cherchez une autre excuse. Mettez Daft Punk dans vos oreilles, des rennings dans vos pieds et prenez la route. C’est tellement grisant.

Arcade Fire | Reflektor : Reflektor
Y a une mode infecte au Québec sur le bashing des gens qui réussissent. Quand la tête sort du lot, faut se dépêcher de la couper. On commence à dénigrer Arcade Fire, parce que leur popularité devient de plus en plus «grand public». C’est pathétique. On peut ne pas aimer ce groupe, pour toutes sortes de raisons, comme je n’aime pas la musique de Céline, mais jamais je ne dénigrerai sa popularité et ce qu’elle a accompli. J’ai adoré Reflektor pour la même raison que j’ai aimé Atom For Peace, pour cette façon de se remettre en question en tentant de se réinventer. Tant mieux si ce groupe devient populaire, ça nous changera de la norme.

Jagwar Ma | Howlin : Four
Les médias sociaux nous font découvrir des trucs qui nous seraient passés sous le nez sinon. Jagwar Ma fut une de ces découvertes. Un album sans ligne directrice, inclassable, d’une belle jeunesse. Aux gens qui méprisent les réseaux comme Facebook et Twitter, je leur répondrai qu’ils tirent sur l’outil inutilement. J’ai des amitiés virtuelles qui m’amènent ailleurs, me font découvrir des livres et des disques, mais tout autant des conseils de course ou de voyage. Comme dans la vraie vie, c’est à la qualité des gens qu’il faut s’accrocher, mais pas au nombre. Et si vous êtes incapable de faire votre chemin dans ces réseaux, quittez-les. Personne ne vous y force. En fait, quittez tout ce qui vous empêche de vivre et de vous épanouir. Et laissez tranquilles les gens qui y puisent des inspirations.

Jay Jay Johanson | Cockroach : Mr Frederikson
Donner une seconde chance. Y a des musiciens comme des auteurs de livres ou des réalisateurs de films qu’on punit trop bêtement. Suffit d’un album, d’un livre ou d’un film qui nous plaisent moins et voilà qu’on laisse tomber, qu’on abandonne en oubliant tout le bien qu’on pensait de cet artiste. Malheureusement on agit souvent de la même manière avec des amis. Un souper qui tourne mal, une opinion différente sur un sujet, et voilà qu’on se détourne de gens qui mériteraient mieux. Je n’avais pas écouté Johanson depuis des années. En écoutant Cockroach, ça m’a rappelé tous les beaux moments que ses premiers disques m’avaient apportés. Cette année, j’ai redécouvert de vieux amis laissés trop longtemps dans l’oubli. Je me promets d’en redécouvrir en 2014.

Arman Méliès | IV : Mon Plus Bel Incendie
Plus on avance et moins on recule. Du moins, on essaie. S’il est important de donner parfois une seconde chance, il faut savoir reconnaître que la fin est parfois nécessaire. Mettre fin une relation, à une amitié, à un travail. Savoir quand il faut sauter du train avant le déraillement. En 2013, j’ai mis fin à des relations professionnelles comme à des relations avec certaines connaissances. Pour le mieux. Évitez les vampires. Ces personnes qui vous sucent  énergie, passion et valeurs. Même si ça fait mal. Pour se faire du bien, il faut parfois se faire du mal. Comme le chante Méliès: Mon plus bel incendie comme je t’ai tué / Et partout je me perds à ranimer le brasier / Mon plus bel incendie comme j’ai regretté / Et partout je me tue à retrouver le brasier.

Majical Cloudz | Impersonator : Childhood’s End
L’approche de la cinquantaine nous rappelle que plus on vieillit, plus la mort fait partie intégrante de notre vie. Cette année encore, on a tous perdu des êtres chers. Père, mère, amis. La mort de nos parents, qu’elle arrive quand nous sommes jeunes ou plus vieux, détermine la vraie fin de l’enfance. Devenir orphelin de père ou de mère à 50 ans n’a pas les mêmes impacts qu’à 12 ans, j’en conviens, mais crée tout de même un vide et confirme qu’un chapitre important de notre vie vient de se terminer. Notre relation avec la mort est souvent indissociable de celle que l’on a avec la vie. Profiter du temps présent pour ne rien regretter.

Posphorescent | Muchacho : Song For Zula
À mon humble avis, la plus belle chanson de 2013. Pourquoi? Pour aucune raison intellectuelle précise. Le coeur a une autonomie que le cerveau n’a pas. Il peut s’emporter sans logique. Et c’est tant mieux. Faut pas toujours analyser ce qui fait battre notre coeur, il faut le laisser s’exprimer. Et le suivre. Passion vs intérêt.

Mellissa Laveaux | Dying Is A Wild Night : Dew Breaker
Ho que j’aime Melissa Laveaux. Cette spontanéité. Cette voix. Comme pour Phosphorescent, j’ai peu d’arguments intellos. Je suis en amour avec Laveaux et avoue ne pas nécessairement vouloir savoir pourquoi.

Pierre Lapointe | Les Callas : Je déteste ma vie
Vincent Delerem | Les Amants Parallèles : Et la fois où tu as
Ces deux albums ont des qualités littéraires supérieures à bien d’autres albums en français. Allumer des souvenirs, annoncer des sentiments, même si leurs styles sont diamétralement opposés : Lapointe étant plus poétique et Delerm, plus anecdotique, les deux albums m’ont accompagné tout le mois de décembre dans cette introspection nécessaire de fin d’année. Cette année, j’ai acheté plus d’albums francophones que dans les dernières années. Pas que je n’y trouvais pas mon compte, mais j’étais ailleurs, dans un autre mood. Parallèlement, j’ai lu beaucoup plus de romans en français. Et ça n’a rien à voir avec le prix des livres… Le combat est ailleurs. On ne crée pas une habitude de lecture avec de l’argent: on peut lire gratuit à la bibliothèque. On n’impose pas une culture par des lois : elle doit se défendre d’elle-même. Le vrai combat est au niveau de l’analphabétisme. Les chiffres sont dramatiques. Au lieu de nourrir, apprenons à pêcher, comme dit le proverbe.

Stromea | Racine carrée : Papaoutai
Gros coup de coeur que ce Belge beige. Tout a été dit sur cet artiste, ce Brel techno, doué d’une plume humoristique et originale, cette musique enrobée de rythmes impossibles à résister (pourquoi d’ailleurs?). Papaoutai? Je l’ai pris comme un cri personnel. Je suis là. Et le serai toujours. Cette année encore, j’ai réalisé à quel point mes enfants avaient vieilli et étaient devenus matures. Qu’il avaient compris un paquet de choses par rapport à la vie. Que je serai toujours là malgré la distance et le temps. Les amis, comme les parents, ne sont jamais loin quand ils sont dans nos coeurs.

– – – – – – – – – – – – – – –

Voici la liste complète de mes coups de coeur 2013:

Arcade Fire | Reflektor : Reflektor
Artic Monkeys | AM : Do I Wanna Know?
Arman Méliès | IV : Mon Plus Bel Incendie
Atom For Peace | Amok : Default
Black Devil Disco Club | Black Moon White Sun : Bee Boop
Daft Punk | Random Access Memories : Instant Crush
DJ Kose | Amygdala : Nices Wolkchen
Deptford Goth : Life After Defo : Feal Real
Emiliana Torrini | Tookah : Autumn Sun
Jagwar Ma | Howlin : Four
Jay Jay Johanson | Cockroach : Mr Frederikson
Kurt Vile | Walkin On A Pretty Daze : Never Run Aways
Majical Cloudz | Impersonator : Childhood’s End
Mellissa Laveaux | Dying Is A Wild Night : Dew Breaker
Nick Cave And The Bad Seed | Push The Sky Away : Mermaids
Posphorescent | Muchacho : Song For Zula
Pierre Lapointe | Les Callas | Je déteste ma vie
Stromea | Racine carrée : Papaoutai
Vincent Delerem | Les Amants Parallèles : Et la fois où tu as
Wookid | The Golden Age : Boat Song

 

Le sablier.

imageLe temps est une matière insaisissable.

Comme le sable sur mes orteils.

Je regarde mon pied, il a pris la forme d’un sablier. Chaque petit coup de vent libère un grain, le faisant rouler et se mêler aux autres. Un à un, ils s’enfuient, me quittent au gré de la brise saline, marquant de leur chute, le temps qui s’en va. Grain de sable anonyme. Vedette instantanée, oubliée tout aussi rapidement.

Mon regard est fixé sur la mer, mais je ne la vois pas.

Mes yeux sont fermés. Je ne dors pas. Je suis simplement perdu dans mes pensées. À prendre conscience du temps qui me file entre les orteils. À réaliser que l’on court après les secondes, sans jamais pouvoir les rattraper. Constamment en manque, nous sommes cold turkey du temps. Dépendant. D’éternels sniffeurs de notre propre ligne du temps.

Dans ma tête, aux rythmes des vagues qui viennent mourir sur la plage, je revois cette année folle qui s’achève. Je prends conscience que le temps file. À toute vitesse. Et que tout particulièrement cette année, j’ai souvent usé l’élastique à sa limite. Le temps est un hypocrite. Il nous donne souvent la fausse impression d’être extensible. Qu’on peut arrondir les coins et allonger les jours. On oublie que cette flexibilité est illusoire et se fait uniquement au détriment de sa propre ligne de vie. Comme du temps emprunté. Une dette à soi-même. Avec la possibilité de faire faillite. Une banqueroute plus dramatique que la simple perte financière. Si le temps, c’est de l’argent, l’argent ne t’accorde pas plus de temps. Une dette qui raccourcit ton terme.

Au loin, un rire d’enfant me fait ouvrir les yeux. Le garçon court dans le sable tentant de semer sa mère à ses trousses. Le contact est joyeux. L’étreinte est amoureuse. La femme fait tourner son enfant sur une chorale de rires partagés. Je vois le sable aux bouts de ses petits doigts de pied, le même sable que j’ai sur les miens. J’ai pourtant l’impression que mes grains tombent plus vite que les siens. Son fou rire réveille des souvenirs. Je pense à mes enfants. À leurs rires. Je pense à ces petits moments de bonheur. Passés, présents et en devenir. Nos enfants vieillissent trop vite, comme nos parents nous quittent trop prématurément. Le temps est un salaud.

Sous mes verres, une larme coule.

Est-ce le sable ou le sel, ou simplement le temps qui enfle ma gorge?

Peut-être parce que mon anniversaire approche. Rien d’angoissant. Une année de plus. Ou de moins. Y a pire que de vieillir. Y a mal vieillir. Le genre d’affirmation que je me dis sans trop y croire. Le temps est un emmerdeur.

Le temps est un train aux horaires imprécises qui te rappelle qu’il faut le prendre quand il passe.

J’ai la nette impression d’être enfin arrêté. Les vacances.

D’avoir mis le film de ma vie sur pause.

Le temps de prendre le temps.

De prendre mon temps.

Le gène heureux.

TM-Marcface-geneJe suis né dans une famille où la table de la cuisine avait la vertu magique de s’agrandir au nombre des personnes qui s’y joignaient. On arrivait chez nous sans s’annoncer et on y était toujours reçu comme si on attendait votre visite depuis des mois. Mes parents aimaient recevoir, avaient toujours de la bouffe pour tout le monde et si y en avait pas, ben y’en avait toujours quand même. Autour de cette table, on buvait, on mangeait, on parlait; il se dégageait une odeur de bonheur et de connivence. On discutait parfois fort, on cognait quelquefois sur cette table, on avait pas toujours la même opinion, mais on tombait tout de même dans un état de communion. Pas au sens religieux, mais à celui plus noble du terme, celui de la communication. Celui de donner et de recevoir. L’idée de prendre soin de ceux qu’on aime, d’apprécier la présence de gens importants à nos yeux, et surtout d’en connaitre de nouveaux. On apprend mieux à découvrir des personnes différentes quand le terreau est fertile aux échanges. Il faut avant tout avoir l’éponge facile. Se laisser imbiber des autres et vice versa. N’essaie pas de te mêler aux autres si tu n’as pas envie d’affronter des différences. Sinon, discute devant un miroir. Reste dans ton cercle homogène. Au sec.

Dans ma famille, les amis des amis étaient toujours les bienvenus. La famille s’élargissait au nombre de patates. L’équation était simple: si-tu-me-trouves-intéressant-alors-tu-devrais-aimer-mes-amis étaient la règle. Tout ça était normal. On ne poussait rien. Normal. Comme la pomme ne tombe jamais loin de l’arbre, j’ai reçu de mes parents ce gène magnifique qu’est celui de la générosité. Recevoir, donner, m’impliquer a toujours fait partie de mon quotidien. Dans la normalité des choses. Aujourd’hui encore, je réponds toujours présent quand on me sollicite directement où quand mes amis ont dit oui à une cause qui les anime, et qu’ils demandent mon aide.

Je pense avoir transmis ce gène à mes enfants. Les deux s’impliquent dans leur communauté. C’est con, mais ça me rend aussi fier que leurs notes et leurs réussites scolaires. Réussir sa vie, c’est tellement pas d’avoir uniquement une grosse job. Vivre en société c’est surtout évoluer dans celle-ci en prenant soin des autres.

Dernièrement sur Facebook, une amie écrivait qu’un de mes clients, que j’estimais déjà énormément, donnait une partie de son stock invendu aux plus démunis. Comme ça. Et ce, dans l’anonymat le plus complet. J’aimais beaucoup ce client, mais aujourd’hui, je l’admire. Alors que d’autres en auraient profité pour se donner du capital, pour s’acheter de la sympathie ou mousser tout ça dans une pub, ce geste discret était fait dans une humilité parfaite. Parce qu’elle est là la vraie générosité. Quand elle est gratuite. Sans arrière-pensée. Quand elle va de soi. Sans un but caché de plaire, de profiter, de bonifier, etc.

L’essence même de la générosité est dans son innocence.

Si vous attendez un retour, vous tombez dans le business. Dans le devoir et l’avoir. Si vous attendez qu’on vous nomme, qu’on vous mette de l’avant, qu’on projette votre nom en bold sur un immeuble, vous êtes dans l’erreur. Donner est un geste impulsif et merveilleux, mais qui perd tout son sens et devient malsain quand il est programmé pour séduire.

Dans une société parfaite, nos petits gestes seraient vus comme des délicatesses. Dans le monde où nous vivons, il est devenu une nécessité de s’impliquer pour permettre à de plus démunis d’avoir un petit rayon de soleil à eux aussi. Le temps des Fêtes est une période plus difficile pour certains et souvent plus propice à une telle réflexion, mais il faut surtout y penser en juillet. En septembre, en mai, en avril. En fait, tous les jours.

Donner, ça rend heureux. À celui qui reçoit, mais tout autant, sinon plus, à celui qui donne.

Ne vous en privez pas.

5 raisons pour m’engager, mais tout autant pour ne pas le faire.

ouinonSimplifions-nous la vie.
Voici cinq raisons qui vous convaincront de travailler avec moi ou de ne pas le faire.

1. Tempus Fugit
Ai-je le temps de réaliser votre mandat?

Il m’arrive de travailler la nuit.
Il m’arrive de travailler la fin de semaine.
Il m’arrive de me tourner les pouces toute la journée.
Il m’arrive de procrastiner des heures.
Il m’arrive d’avoir trop de temps.
Il m’arrive de ne pas avoir assez de temps.

La création n’est pas une job de production, mais de réflexion. On sait quand on commence, mais on sait rarement quand ça finit. Il m’arrive d’avoir des idées géniales en si peu de temps que parfois, j’oublie qu’il faut que je bûche des jours pour en trouver une nulle. Je sais que ça peut vous compliquer la vie, mais c’est comme ça. Comprenons-nous bien: la notion de temps en est une élastique. Il m’arrive de réaliser des mandats dans un temps record comme je peux dépasser une date de tombée parce que je trouve que vous méritez mieux que l’idée pondue pendant ce court laps de temps.

2. Bacon
Comme le temps c’est de l’argent, vous pouvez facilement vous imaginer que la notion d’honoraires se décline de la même manière.

Il m’arrive de me faire dire que je charge trop cher.
Il m’arrive rarement de me faire dire que je charge trop peu.
Il m’arrive de me tromper dans l’évaluation du travail à accomplir et manger mes bas.
Il m’arrive de tomber sur une idée géniale dans un temps record et réaliser que je fais une vraie bonne affaire avec votre mandat.

Soyons clairs : si c’est un prix que vous cherchez, vous n’êtes pas à la bonne place.
Pas que je ne suis pas abordable ni non négociable, mais si votre idée première en m’engageant est de sauver des sous ou de vous servir de moi afin de négocier votre fournisseur régulier, je ne pense pas que notre relation débute. Voyons les choses comme elles sont : mon travail consiste, entre autres, à vous faire connaître, à vous vendre, à vous définir pour ainsi vous améliorer et ultimement, vous faire faire de l’argent. Ça vaut et coûte quelque chose.

Je considère que mes créations sont pertinentes, imaginatives et valent le prix demandé. À vous de voir.

3. Fun
J’aime ce que je fais. Je tripe sur mon travail. Jamais routinier, le métier de création est directement fait pour moi. Malgré les heures, les angoisses (oui oui, la recherche d’une idée est souvent un supplice intellectuel…), il faut garder sa bonne humeur. Labeur égale bonheur, mais uniquement dans la bonne humeur.

J’ai besoin de me sentir appuyé.
J’ai besoin de sentir que la confiance s’installe.
Je déteste quand on me bouscule.
Je crois au respect mutuel.
Rire n’enlève rien au sérieux d’une démarche.
Garder son naturel éteint et tenter d’être quelqu’un d’autre est-ce qu’il y a de plus turn-off quand tu brainstormes.

Mes rencontres client ne sont pas traditionnelles. J’aime avoir du plaisir. Je ne me prends pas au sérieux, même si certains de mes mandats demandent de l’être. Démêlons les individus du mandat. On peut avoir des fous rires quand on travaille sur une campagne de sensibilisation sérieuse. Ça détend l’atmosphère et ça pousse les relations au-delà du simple contact client-fournisseur de services. Avoir du plaisir en travaillant, c’est sain.

4. Les p’tites vites
J’aime bâtir de longues relations avec mes clients. Les one shot deal ne m’intéressent pas. Je ne cherche pas à travailler sur tous les mandats pour lesquelles on me sollicite.

Si je vous connais en profondeur, j’anticipe vos besoins.
Si je vous connais en profondeur, je connais votre réalité.
Si vous connaissez ma réalité, vous comprenez que sous mes airs parfois désorganisés, je livre toujours la marchandise.
Si vous connaissez ma réalité, vous savez exploiter mes forces.

Quand on travaille sur une longue période avec un client, toute la notion d’investissement prend sa valeur. Chaque action n’a pas nécessairement une facture attachée à celle-ci. Comme dans une relation amoureuse, on peut toujours compter l’un sur l’autre pour avancer. J’ai des clients qui me suivent depuis plus de 15 ans avec qui j’ai des relations de symbiose qui dépassent largement mon expertise première. Certains me demandent un avis sur des transactions immobilières, d’autres sur des changements stratégiques qui dépassent les communications. On ne conte pas ce genre de secrets à une nouvelle flamme, mais à ton vieux pote, oui.

 5. Parfait pour moi
Même si j’ai certaines facilités dans certains domaines, j’aime qu’on me propose des trucs auxquels j’ai rarement été mandaté. Avec l’expérience, j’ai appris à connaître mes limites et si je ne me sens pas à l’aise j’oriente le client vers quelqu’un qui saura mieux le réaliser.

Un mandat peut-être ennuyant, mais super payant.
Un mandat peut-être génial, mais avec un budget de misère.
Le mandat doit nécessairement m’intéresser.
J’aime faire des trucs différents.
Je n’aime pas qu’on me limite.

Je ne pense pas être unidimensionnel et ce n’est pas parce que je n’ai pas réalisé de mandats dans votre domaine que je ne suis pas en mesure de le faire. Moins connaître un champ d’expertise peut s’avérer un atout important puisque la connaissance vient souvent avec des paradigmes et des idées précises. Moins de balises, plus de créativité.

 

 

 

Mourir de rire.

TM-Marcface– Toi? Un gars timide??? Fais-moi rire!

– Oui, oui, je t’assure.

– Non! Tu dégages tellement d’assurance, arrête ça!

– C’est une façade.

– Non…

– Si.

– …

On préfère penser que l’extérieur ressemble à l’intérieur. C’est plus facile. C’est comme un lien direct.

Quelqu’un qui parle fort est sûr de lui. Quelqu’un qui ne parle pas est timide.

Un gars qui rit est heureux. Une femme qui pleure est malheureuse.

C’est logique et surtout rassurant de penser ça.

On ne cherche pas à aller plus loin.

Et si je vous disais que sous ses airs rigolos de matamore qui jacasse et qui rigole à qui mieux mieux, y a un petit gars qui cache un trou énorme à l’intérieur de lui. Que ce petit gars se sert de sa langue bien pendue pour détourner l’attention des gens pour leur cacher les vrais enjeux. Que sous des airs frivoles y a un homme capable de se perdre dans une mélancolie aussi dense que la brume des aurores automnales. Le Cavalier noir de Dexter. Un gars qui a peur de la noirceur qui s’émane de son âme à se donner la chair de poule.

On peut tous devenir des bombes à retardement. Quand la balance prend du poids du côté sombre. Quand on est incapable de faire contrepoids.

Non. Je sais. On ne veut pas voir ça. On ne veut surtout pas savoir ça.

On veut que les gens soient joyeux. On veut du plaisir. On voudrait que la vie ressemble toujours à un statut Facebook. Been there, done that. Always with a smile. A big fucking smile. Même un faux. Un sourire, ça peut être qu’un mouvement musculaire de la bouche et ne pas signifier le bonheur.

Si vous acceptez que l’on puisse pleurer de rire, faudrait aussi réaliser qu’on peut rire tout en étant malheureux.

Et même de mourir de rire.

3 personnes se suicident chaque jour au Québec.

C’est votre ami. Votre soeur. Votre compagnon de travail. Votre mère.

C’est une personne, avant tout incapable d’envisager une autre solution à ses problèmes.

Ce n’est surtout pas à vous de juger de l’ampleur de son problème. Vraiment pas.

Mais d’être là, oui.

De poser la question directement. De vérifier sous l’eau, si ce glaçon, qui flotte doucement sur l’océan, ne cache pas un iceberg capable de couler un bateau plus gros que lui.

3 personnes se suicident chaque jour au Québec. Plus d’un millier par année.

C’est l’Association québécoise de prévention du suicide qui le dit, pas moi et c’est justement leur campagne de sensibilisation.

Ici, pour le don.

Récompense moins vraie qu’on pense.

Portfolio_packaging-patateÀ son habitude, Applied Arts Magazine consacre son édition de septembre/octobre à ses Awards annuels qui récompensent ce qui se fait de mieux en graphisme et en publicité au Canada.

À son habitude, elle a choisi son jury parmi la crème de la création parmi toutes les agences au pays. La crème qui choisit la crème.

Jusqu’ici rien de bien anormal. Sauf  que l’agence Zulu Alpha Kilo, responsable de la conception de l’édition a décidé de soumettre à un jury composé de «gens ordinaires», les mêmes pièces.

Résultat : 70% des créations primées par le jury du magazine provenant d’agences de pub n’ont pas trouvé preneur dans le coeur de l’autre jury. Celui-ci, composé de consommateurs, a clairement signifié que les publicités primées ne les rejoignaient pas, concluant ainsi que les agences vivaient dans leur bulle.

Hahaha! Bien fait! Je me marre.

Car voyez-vous, comme les consommateurs, j’ai toujours vécu un malaise vis-à-vis ces prix.

Résultats? Quels résultats?
Ce qui m’a toujours déplu dans ce genre de concours est le manque de données relatives quant aux résultats des campagnes. Si les objectifs ont été atteints, si le mandat a bien été réalisé. On juge l’esthétisme, l’idée, sans toutefois vérifier de sa pertinence. Qu’en déplaisent à certains créatifs, nous avons avant tout un mandat de commercialisation, de persuasion ou de communication à réaliser. Oui, on peut (doit) être créatif, imaginatif, cela va de soi, mais tout autant d’être précis et approprié. Il est primordial, selon moi de juger la création par rapport à son succès commercial ou  communicationnel. Sinon, on juge quoi?

Mon exemple
J’ai gagné à deux reprises des Awards d’Applied Arts (les cadres s’empoussièrent dans mon bureau). Les deux fois pour des emballages. Mon premier, un produit destiné à un jeune public, a été un fiasco commercial : le produit ne répondait nullement à la clientèle. Mon design fût jugé comme étant créatif, mais le consommateur a boudé le produit sur les tablettes. Bien que mon mandat fût réussi à moitié (je n’étais tout de même pas responsable du goût !), le produit, lui, n’a jamais pris son envol. Dans le cas de mon deuxième prix, la compagnie a connu des ratés et dû rapidement se mettre à l’abri des créanciers. Encore ici, on jugera ma création géniale, mais le produit restera plus longtemps sur mon mur que dans les magasins.

Oui, je pense que je méritais ces prix par rapport à la valeur artistique de mes créations, mais si on m’avait jugé sur le résultat final, je ne suis pas certain qu’on m’aurait attribué un prix. Car nous sommes avant tout au service d’un produit, et non l’inverse…

Il y va de même pour toutes les créations primées dans ce genre de magazine. On en juge la beauté, l’esthétisme, l’intelligence, mais aucunement son efficacité réelle à séduire et convaincre. Sans non plus, y comparer le budget disponible, ni de la véracité de la pièce (on sait que certaines agences envoient de faux travaux jamais publiés).

Bien sûr que comme professionnel, nous avons tout de même nos limites par rapport aux produits de nos clients. Je peux bien l’emballer, en parler et vous persuader que c’est un bon produit, mais si celui-ci est de la chnoute, y aura pas grand design ou pub pour le sauver. Nous avons nos limites. Comme ces prix qu’on nous décerne.

Party privé.
Le deuxième aspect qui me dérange dans cette distribution de prix, c’est tout le côté gamique du truc.

Regardez la liste du jury et vous connaîtrez le nom des gagnants. Ils y sont tous. Jury et gagnant. Juge et partie.

Je me rappelle, il y a une dizaine d’années avoir envoyé un courriel-Molotov au rédacteur en chef du défunt magazine Grafika pour me plaindre de sa sélection annuelle. Une seule agence hors de Montréal avait encore été primée (une firme de Québec !) et c’était tout. 514 seulement. Comme si passé Montréal, rien ne se créait. Un néant publicitaire. On parlait tout de même de prix récompensant le graphisme québécois. Pas uniquement montréalais. C’était pourtant cette même année où l’on venait de me récompenser chez Applied Arts – on était alors 3 ou 4 agences du Québec à avoir remporté un Award. Excellent au Canada, mais pas assez pour Montréal.

J’ai depuis cessé de participer à ce genre de concours.

Je n’y vois plus aucun intérêt.

On dira que j’ai perdu le goût de me mesurer aux autres.

Je répondrai que je préfère que mes clients se mesurent entre eux.

Et aux consommateurs de choisir.

 

> Emballage de pommes de terres récompensée par Applied Arts.

Tais-toi et marche.

TM-marcheurPour protéger son anonymat, donnons-lui le prénom de Claude.

Il y a quinze ans, Claude est tombé d’une hauteur qu’on peut difficilement franchir sans parachute.

Une chute qui l’a littéralement cassé en mille morceaux.

Boum.

À son réveil, sur son lit d’hôpital, on lui apprend qu’il est paraplégique. Ses bras fonctionnent, mais ses jambes ne répondent plus. Si la chute lui a fait mal, le diagnostic fut dévastateur. Un gars dans la vingtaine avec une gang de chums, une bonne job qu’il aime, une blonde qu’il adore, aux prises avec un déclic du destin qui fait défaut.

La vie continue. La routine l’emporte. Tout le monde reprend son quotidien. Tout le monde, mais pas Claude.

Tes chums se font plus rares.

Tu ne peux plus travailler.

Ta blonde te quitte.

Une vie d’ange qui se transforme, l’espace d’une nuit, en vidange.

On dit que le malheur ne vient jamais seul, on peut dire que Claude est tombé trois fois. Et que sa troisième chute fût peut-être la plus douloureuse.

Mais si Claude avait perdu l’usage de ses jambes, il avait pleinement celui de sa tête.

Il existait une possibilité sur un million pour qu’il remarche. Une minime probabilité qu’une terminaison nerveuse retrouve son chemin jusqu’à ses jambes inertes. On pourrait parler de chance. Je préfère parler de détermination. Parce qu’il fallait y croire. Et Claude s’y est accroché.

Plus d’un an de réadaptation. Petit pas par petit pas.

Et Claude a remarché.

Tout croche, bien sûr. Avec des orthèses et une allure de gars en constant état d’ébriété. Toujours à la limite de tomber tel un pantin désarticulé auquel il manque des cordes, mais Claude marche, conduit, sourit. Claude revit.

Quand un gars, comme Claude, te raconte une histoire comme la sienne, le premier réflexe est de calquer sa réalité sur la tienne. Comme deux esquisses sur du papier pelure que l’on expose à la lumière pour vérifier si les lignes se croisent, voir si les cartes de nos destins distinctifs pouvaient se ressembler. En tentant d’extrapoler sur ce que tu aurais fait si un tel accident t’était arrivé, à toi.

Et ça te saute au visage.

Je dis souvent que s’il fallait qu’il m’arrive une histoire comme celle de Claude, je préférerais mourir. Je doute de mes capacités à passer à travers une telle épreuve. Je n’aurais pas le courage nécessaire ni cette détermination qui font que tu surmontes un grand malheur. Je serais le lieutenant Dan dans Forest Gump. Je me laisserais abattre.

J’écris ce texte, le talon sur la glace. Stupide blessure suite à un retour trop rapide à la course après une foulure.

J’écris ce texte en réalisant que ma convalescence est d’une insignifiance. Que mes semaines d’attente sont risibles. Que de broyer du noir pour une connerie pareille frise l’hystérie.

Ta gueule. Tais-toi et marche.

Il y a de ces rencontres qui te ramènent la vie en pleine face.

J’ai rencontré Claude par hasard et l’ai quitté sans lui dire tout le bien que sa triste histoire m’a fait.

Voilà, c’est fait.

Pourquoi ne pas me laisser le faire?

TM-Marcface-alouerDernièrement un client m’a mandaté pour lui créer une publicité dans un magazine spécialisé. Rien de compliqué. Une pub pour le vendre dans une publication directement reliée à sa clientèle cible. Quand je vous dis rien de compliqué, c’est plus que vrai. Le client avait ajouté à sa demande une description tellement claire de ce qu’il voulait qu’il m’était impossible de m’égarer. À son courriel était joint le texte de la pub dans un document Word™, une photo en format .jpg, une carte géographique et une recette précise où positionner chacune des pièces du casse-tête.

Rien n’était laissé au hasard. Rien.

Pour l’exercice, j’ai décidé de faire exactement ce qu’il me demandait.

J’ai placé chaque truc à la place désirée sans me demander si c’était ce qu’il fallait faire.

J’ai exécuté à la perfection la commande. J’ai sauvegardé le document, cliqué sur envoyer et fait parvenir par courriel, l’épreuve au client, pour approbation.

Sa réponse fut plus que brève : « Ouais, je ne suis pas un graphiste, hein? lolll»

Voilà. Encore moins un communicateur.

J’allais le dire.

Mais y a souvent rien de mieux qu’un exemple pour convaincre.

Au lieu de me mandater à combler un besoin de communication ou de promotion, le client s’est aventuré à faire ma job. MA job.

Parce que s’il m’avait choisi parmi d’autres professionnels, c’était pour ma créativité, certes, mais avant tout à ma capacité de répondre à un besoin. Le client n’avait aucune malice. On a bien ri, tous les deux, de cette expérience. Mais pour être certain qu’il comprenne bien l’essence de mon intervention, je lui ai fait quelques recommandations, que je vous résume ici.

Vous êtes les meilleurs dans ce que vous faites, moi aussi.
Vous êtes les tops dans votre domaine, mais quand vous tombez dans le mien, ça craint. Vous n’êtes pas à la hauteur. Je ne prendrais pas le risque de vous dicter quoi que ce soit dans votre fonctionnement interne, car je ne pense pas avoir votre capacité de dirigeant ou d’entrepreneur. Prenez exemple.

Vous avez des goûts personnels, je suis au courant des dernières tendances.
Je passe mes journées et soirées sur le web. J’ai le nez dans les revues de marketing, je m’intéresse à l’Art en général, je suis au parfum des tendances du marché. Je peux vous dire ce qui carbure en ce moment, quelle couleur sera à la mode l’automne prochain, quelle typo est in, laquelle est dépassée. Vous avez des goûts personnels, moi aussi. Sauf que les miens, je les laisse de côté quand je travaille pour vous. Ce que vous ne faites pas, mais devriez.

Vous avez le nez dans votre caca. Pas moi.
Pas dans le vôtre en tout cas. Une des difficultés majeures que peut vivre une entreprise c’est la celle d’exercer un peu de recul par rapport à sa propre réalité. Trop dedans. Trop souvent les pieds dans le quotidien pour regarder derrière son épaule. Le syndrome du cordonnier mal chaussé. C’est normal. Je vis la même chose avec mon propre bouiboui. Mais avec le vôtre, je suis capable. Parce que c’est mon travail de le faire pour vous.

Vous ne pouvez pas tout dire.
Le texte que mon client m’a fourni était non seulement plate, mais comblait une page complète d’un document Word™.  Plus de mots que d’idées. Ennuyant et redondant à moins d’être un historien et de vouloir répertorier les étapes importantes du développement industriel du dernier siècle. Je m’imagine très bien sa clientèle s’endormir au premier paragraphe et décider que le Larousse serait plus instructif et moins barbant à lire. J’utiliserai moins de mots que vous, mais ils seront choisis pour leurs capacités à bien cerner votre idée et bien convaincre vos clients. Mon slogan aura plus d’impact avec ses huit simples mots que la page de trois cents mots que vous me fournirez.

Vous ne pourrez tout régler.
Je sais que la pub coûte cher. Que moi aussi, je coûte cher. Raison de plus pour s’assurer que vous ne gaspillerez votre argent en la dilapidant dans un truc sans queue ni tête. Donnons-moi le mandat de simplifier vos communications, de passer un seul message, mais que celui-ci soit précis, compris et aie un l’impact souhaité. Concentrons-nous sur l’essentiel. Une chose à la fois.

Vous gaspillez votre argent et moi, mon temps.
Honnêtement, si mon client avait voulu sauver de l’argent, il n’aurait pas eu à me mandater pour cette pub. N’importe qui avec une certaine connaissance des logiciels de graphisme sur le marché aurait été en mesure de réaliser exactement ce à quoi il s’attendait. À une fraction du prix. Je ne dis pas ça pour être chiant, mais tant qu’à m’employer autant abuser au maximum de mon talent et de ma créativité.

Quand je rencontre un nouveau client, à la question pourquoi m’avoir choisi au lieu d’un autre, on répond souvent : j’aime beaucoup votre travail.

Pourquoi alors ne pas me laisser le faire?

« Anciens billets Récents billets »

 
Back to top