Savoir rebondir.

L’échec est une façon différente d’atteindre le succès. Ce n’est pas la plus logique d’y arriver, j’en conviens, mais elle ne représente pas une fin en soi. Un échec, c’est plutôt le début de quelque chose de nouveau. Un renouveau. Et c’est normal. Puisque l’on a raté un truc, il faut donc changer certaines façons de faire si l’on veut réussir, c’est plutôt logique, non?
Dans le métier que j’exerce, l’échec fait partie intégrante du processus de création. On émet des idées à un client qui les reçoit et perçoit de manière positive ou négative. A t’il toujours raison? Non. Ça serait trop facile. Mais en contrepartie, présentons-nous toujours, nous les créatifs, la meilleure solution possible? Non plus. Le métier de création en est un d’interprétation, de perception, de culture et de goût. Il se peut que l’idée proposée soit la meilleure possible, mais qu’elle soit rejetée de toute façon, comme il se peut qu’elle soit retenue même si elle est une mauvaise idée. Win a Few, Lose a Few. Ça s’égalise comme dirait l’autre. L’échec, qu’il soit provoqué par les autres ou par soi-même, mène à un unique résultat : celui de devoir se renouveler, de refaire ses devoirs. Savoir rebondir, quoi.
Se faire refuser un concept, c’est chiant. Mais ça fait partie de la game que tu joues avec ton client. Se faire refuser un concept, ça arrive plus souvent quand on joue sur la corde raide de l’originalité; faire constamment les mêmes trucs, copier les autres, ne pas sortir des sentiers battus, mène rarement à l’échec. Ni au succès, honnêtement.
Se faire refuser un concept, ça fait mal. À son égo. Ça veut dire que l’on critique votre talent, vos idées, vous-même. Mais c’est surtout simplement un constat que ce que vous avez tenté ne fonctionne pas, alors il faut le changer. Même si vous demeurez convaincu du contraire.
Dans l’exemple que j’illustre ici, j’avais été mandaté par la Caisse Desjardins de Chicoutimi pour créer un logo commémoratif pour leur centième anniversaire. Après avoir esquissé un paquet de trucs, j’ai voulu me rapprocher le plus du logo corporatif de Desjardins, cette espèce de ruche formée par des losanges. À partir de cette forme géométrique, j’ai réussi à créer deux 0 et un 1 en utilisant le négatif de la forme. En jouant ces formes, j’ai construit une petite maison représentant grossièrement une caisse. Par extension l’ouverture du toit laissait interpréter une petite tirelire. Bref, mon processus créatif était à point. Mon concept tenait la route, était esthétiquement défendable et répondait parfaitement au besoin du client. J’avoue qu’il me plaisait beaucoup et c’est donc sans hésitation que j’avais décidé de présenter ce logo à mon client.
Bien reçu par le département des communications, il devait subir quand même quelques épreuves avant d’être accepté, entre autres celle de recevoir l’aval d’un comité de direction, etc.
La réponse fut négative. Pas parce que le logo ne plaisait pas, mais sa trop grande interprétation et ressemblance de la signature de Desjardins a été jugée irrecevable par la Fédération des Caisses. C’est écrit noir sur blanc dans leurs normes graphiques qu’il était non-négociable de créer une signature à partir du logo corpo. Échec.
Il fallait donc recommencer le processus de création du début. Il fallait rebondir.
Ce qui est difficile lorsqu’on se voit confronté à ce genre de résultat, c’est de faire table rase sur ce que l’on avait fait auparavant. Chasser le plus vite possible l’idée que tout ce que vous créerez pour remplacer votre ancien concept ne sera jamais aussi fort, aussi créatif que l’idée refusée. Et c’est là le piège dans lequel trop souvent tombent les jeunes créateurs. Penser que l’idée refusée était l’ultime. Que tout ce qui suivra ne pourra qu’être moins bon. Au contraire. Je répète souvent que la création nait des contraintes. L’échec c’est le summum comme contrainte. Il est le dead-end qui nous force à faire marche arrière pour mieux avancer. Pour aller plus loin.
En reprenant mon crayon, j’ai redessiné cette signature, illustrée plus bas, en créant deux C, pour Caisse de Chicoutimi, qui forment les deux 0 de 100. Plus simple, plus festive et cohabitant plus facilement avec la signature de Desjardins, le logo fût rapidement accepté par le comité.
Avec du recul, j’aime beaucoup plus cette signature et demeure convaincu que le client a bien fait de refuser le premier concept. Non pas parce qu’il n’était pas bon, mais qu’il fallait passer par là pour créer mieux.
Savoir rebondir, ça permet de dépasser ses limites et de transformer un échec en succès. Pour faire mieux.

Bon centième à la Caisse Desjardins de Chicoutimi qui a su, elle aussi, rebondir et se réinventer à travers ses cent ans d’histoire!

Entretien avec un clown.

Je pense qu’on ne peut apprécier quelque chose qu’on ne connaît pas. Je pense aussi que l’ignorance est souvent le pire défaut qu’un individu peut avoir. C’est celui qui fausse la plupart du temps le jugement. Quand j’ai décidé d’appuyer l’organisation S.O.S Clown, j’avoue ne pas avoir pris trop de renseignements sur l’organisation. Je l’ai fait avant tout parce qu’un client m’y avait référé, comme un soldat à qui on donne un ordre. Mais en dedans de moi, au plus profond,  je pense que l’on DOIT s’impliquer. Il faut aider son prochain. Je sais que c’est un principe judéo-chrétien, que la religion est un sujet tabou ces temps-ci, mais je persiste à dire qu’il faut s’impliquer dans une société si l’on veut qu’elle avance. Qu’il faut surtout faire ce qu’il faut sans attendre que les autres le fassent. Sans y penser. En sautant. Sans filet.

En décembre dernier, Geneviève Lefebvre, une pote de Facebook, une femme allumée, une plume géniale écrivait un billet lumineux sur son blogue Chroniques Blondes; un super billet : De l’engagement et autres gravités de l’être, un article sur ces personnes qui s’impliquent dans leur environnement. Simplement parce que. Parce que c’est ainsi.

J’ai eu le privilège de voir à l’oeuvre ces clowns et je vous donne ici la chance de connaître un peu plus leur travail. Pour vous inciter surtout à donner des sous pour les soutenir dans leur mission. J’ai interviewé Lily-Fleur Depeau (alias Josée Gagnon); histoire d’en savoir un peu plus sur l’organisme. Voici donc un interview effectué par courriel, parce que la vie passe trop vite et que les rencontres physiques sont devenues des privilèges…

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Interview avec Lily-Fleur.

Marc™ : C’est la première fois que j’interviewe un clown, je devrais m’attendre à quoi comme dialogue?

Lily : Tout sauf un dialogue de sourds.

Marc™ : Pourquoi le nom de Lily-Fleur?

Lily : Parce que si l’on me pose une question, la réponse est toujours longue et exhaustive… Donc, il fallait que le nom soit long. Mon personnage, comme tous les autres, est une caricature de moi, donc c’est une petite poupée qui veut que tout soit parfait, mais qui pète des plombs… De là, Lily-Fleur Depeau.

Marc™ : Haaa, je ne connaissais pas votre nom de famille. Je comprends mieux maintenant. Il est important pour un clown d’avoir sa propre personnalité? Simplement pour vous distinguer où cela fait partie d’un processus plus complexe?

Lily : La raison pour laquelle le clown est associé à une image peu flatteuse et ridicule, presque grossière, c’est qu’elle est basée sur un stéréotype et n’a souvent aucune raison plus profonde. Nous (et ce qui caractérise les clowns qui se démarquent) ce sont ceux qui ont une recherche plus poussée et un fondement à leurs actes, leurs actions et leurs pensées, ainsi qu’à leurs images. SOS Clown, comme les Dr. Clown (nos modèles) ne pourrions avoir un personnage qui ne vient pas de notre « moi ». C’est à dire que pour que le personnage soit honnête et qu’il ait une proposition théâtrale autre que des ballounes, ben… Il doit être en accord avec ce qu’il est. C’est pour cette raison que nos personnages sont nos caricatures. Difficile à assumer au début de voir nos défauts (si nombreux) au grand jour… Puis nous apprenons à en faire des « presque qualités », en tout cas, c’est ce qui nous alimente sans faire trop d’efforts, juste en étant honnête avec la situation, avec nous même. Notre propre bêtise rend ce personnage attachant parce que tous peuvent s’identifier à cette vulnérabilité, cette sottise ou ce côté naïf.

Marc™ : De cette façon, ça doit être plus facile de jouer son propre rôle, même s’il est exagéré, mais surtout plus pertinent encore quand vous intervenez auprès de vos «patients»?… Parlant d’intervention, peux-tu me parler des clientèles différentes que vous visitez?

Lily : De jouer plus proche de nous, nous permet de nous oublier et de ne pas avoir à trop penser. Donc, ça nous permet d’être « toute là » avec la personne qu’on rencontre, d’être réellement à l’écoute, le reste c’est un point d’honneur pour notre travail « honnêteté de jeu ».
SOS Clown travaille en pédiatrie au CSSS au Chicoutimi, dans 4 CHSLD (centre de soins de longue durée) au Saguenay et nous avons commencé un deuxième programme à l’URFI (centre de réadaptation à Jonquière) avec une clientèle très diversifiée. Un défi que nous adorons. Nous avons travaillé 4 ans aux soins de longue durée au CSSS de Chicoutimi, mais avec le transfert de ces départements, nous avons dû faire des choix difficiles.

Marc™ : L’approche des deux clientèles (personnes âgées et enfants) est-elle différente? Si oui, en quoi?

Lily : Complètement. Avec les enfants, naturellement ils s’attendent à ce que les Dr. Clown fassent leurs preuves. Veulent une « performance », veulent rire. Nous jouons beaucoup plus et faisons du  « slapstick » (l’art de se frapper sans trop se faire mal). Avec les personnes âgées, c’est beaucoup plus tendre, plus calme, plus dans l’écoute et la modestie. Nous attendons toujours que la personne nous parle d’elle avant que de tenter quoi que ce soit… Une relation doit s’installer, une confiance puis… Peu à peu, au fil des semaines, nous pouvons explorer d’autres avenues, orientées par la vie et les intérêts, puis la réalité physique et intellectuelle de la personne.
Nous accompagnons aussi des gens dans la mort alors bien sûr, notre dernier souci est de les faire rire… Nous souhaitons simplement avoir un moment privilégié avec cette personne. Nous avons souvent des confidences; des désirs avoués, des regrets, des peurs et de la colère. Si notre présence permet à une seule personne de mourir en se sentant respectée dans « l’être humain » qu’elle est et non pas le « malade » qu’elle est devenue et que, grâce à notre visite cette personne meurt moins en colère… Alors nous, nous savons pourquoi nous faisons ce travail si passionnant.
La difficulté avec les enfants c’est de savoir s’adapter aux différents groupes d’âge. Aux différentes situations dans une seule chambre… Ça demande une écoute du tonnerre et une acuité chirurgicale. Exemple: Un enfant reçoit un diagnostic de fibrose (6 mois) et un trouble alimentaire (16 ans) dans le lit d’à côté puis une urgence pulmonaire (5 ans) qui arrive avec les familles, médecins et infirmières qui viennent avec…. Faut jongler avec tout ça, ne pas trop énerver et savoir quitter. 🙂

Marc™ : Je comprends. On est loin du « divertissement » et beaucoup plus proche de l’intervention. Comment êtes-vous préparés à ça? J’imagine qu’on ne s’invente pas Dr.Clown?

Lily : Absolument.
Nous sommes, à la base, tous des comédiens professionnels, pour faire naître notre personnage, nous allons prendre la première formation à Montréal. Beaucoup de journées d’observation pour bien saisir le travail et toute la subtilité qui s’y rattache. Nous bonifions par la suite cette formation à d’autres, très diversifiées qu’il serait difficile de décrire. Autant sur le métier de comédiens que sur les pertes sensorielles, sur l’art de faire des interventions en ayant une qualité d’écoute et de pertinence (que nous avons fait venir d’Europe) ce sont des formations très rares et plutôt  «pointues ». Nous avons un métier de marge… Plus marge que ça, tu meurs…lol
Il a fallu tout créer d’un bout à l’autre… Nous sommes parties de loin Moira et moi. Fallait y croire pour embarquer autant de gens merveilleux dans un projet aussi excentrique!

Marc™ : J’ai pu apprécier votre travail et j’ai été sous le charme… mais en même temps, j’étais bouleversé; comment gérez-vous vos propres émotions par rapport aux relations que vous créez?

Lily : Tout d’abord l’organisme est très bien structuré. Il est doté d’un code de déontologie qui nous sert à être balisé. Les règles à suivre pour d’éventuels débordements. Nous avons un soutien psychologique dans l’organisme et nous nous rencontrons chaque mois avec ce psychologue pour échanger sur les différentes difficultés ou les belles constatations que nous faisons. Cela nous permet d’être orienté, soutenu et surtout de garder un équilibre émotif sur par rapport à la mort, le deuil en général, la maladie et toutes les étrangement, belles choses qui s’y rattachent.
Le nez nous permet une distance émotionnelle aussi. Comme nous avons des costumes plutôt sobres, c’est ce qui nous distingue, nous met une petite barrière et nous protège aussi. De plus nous avons un journal de bord interne qui nous permet d’évacuer le « trop-plein » et de nous questionner sur plein de choses concernant notre travail. Il est bien de mentionner aussi que nos clowns thérapeutiques ont choisi à partir d’audition artistique et psychologique. Nous avons donc une présélection qui nous oriente vers des gens qui sont là pour de bonnes raisons, qui ont le coeur pour le faire et qui sont rendues à un point dans leur vie où ils peuvent gérer ces situations.

Marc™ : Vous êtes combien de clowns à travailler pour SOS Clowns et peux-tu me les nommer?

Lily : Les cofondatrices, Dr. Go! (Moira) et Dr. Lily-Fleur Depeau. Puis en ordre d’arrivée : Dr. Chabidou Wa, Dr. Monde Entier, Dr. Q-Tips, Dr. Rubber et une petite nouvelle qui n’a pas été baptisée… Peut-être Dr. Linguini ou quelque chose de long… Dr. Douz’grains étant partie. Donc, 7 en fonctions.

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Voilà. Quand je vous solliciterai, la semaine prochaine,  pour cette levée de fonds pour aider l’organisme S.O.S Clown, vous en saurez un peu plus sur ces drôles de personnages qui en font partie. Sur ces drôles de clowns qui n’ont que leurs nez rouges pour les différencier des anges…

25 trucs qui me font chier d’être graphiste

01. Passer des heures à zigonner devant 100,000 polices de caractère pour finir par utiliser Helvetica.

02. Fuir le regard intrigué des passants quand tu te penches à la verticale pour lire les crédits d’une sacrée belle affiche sur un mur.

03. Être incapable d’apprécier un document si le texte est justifié, composé en comic sans en utilisant toutes les fonctions horribles de déformation de typo du logiciel Word.

04. Te faire demander qu’est-ce que tu as fait « exactement » dans cette brochure si les illustrations et les photos viennent d’ailleurs, que tu n’as pas composé le texte et que tu n’es pas l’imprimeur.

05. Être désigné par ta famille pour faire la carte de fête de ma tante ou l’affiche de la vente de garage du quartier.

06. De toujours barbouiller sur tous les documents que l’on te donne : ordre du jour d’une réunion, document de travail, serviette de table.

07. Être incapable d’acheter un t-shirt, si le design n’est pas hype.

08. Décider qu’un vin est un grand cru uniquement si l’étiquette est belle.

09. Se rendre compte, après 40 ans que d’utiliser de la typographie en 6 points, c’est illisible.

10. Présenter un truc de merde à un client et qu’il l’accepte.

11. Te faire dire par un client que ton design fait très professionnel. J’espère.

12. Te faire demander si tu fais des « crest », des sigles ou des légos.

13. Télécharger toutes les applications pour iPhone qui touchent de près ou de loin au graphisme et n’en utiliser aucune.

14. Être considéré comme un artiste dans le milieu des affaires.

15. Être considéré comme un commercial dans le milieu artistique.

16. N’avoir aucune reconnaissance professionnelle et réaliser que n’importe qui peut porter le nom de designer graphique sans en avoir la formation.

17. Recevoir des conseils de mise en page de la part d’une secrétaire.

18. Subir les innombrables mises à jour inutiles de tous les logiciels indispensables à la réalisation de ses créations.

19. Trouver une idée géniale, la présenter au client qui l’accepte avec joie, réaliser que cette idée existe déjà, devoir appeler le client pour lui dégonfler sa baloune.

20. Triper plus sur le générique d’un film que sur son intrigue.

21. Apprendre après avoir déposé un projet à un client prospect qu’en plus de toi, il y a 35 autres soumissionnaires.

22. Devoir toujours payer un surplus de bagages à chaque voyage effectué parce que tu achètes toujours trop de livres de design.

23. Se réveiller en pleine nuit, griffonner un concept sur son calepin près du lit et être incapable de déchiffrer le gribouillis le lendemain matin, au réveil.

24. Se rendre compte dans une mission humanitaire que ton métier ne sert à rien quand tu es en plein coeur de la brousse africaine.

25. Trouver l’idée parfaite alors que ton concept est déjà sous presse.

S.O.S Clown

Je n’avais mis les pieds dans un CHSLD depuis un bon bout de temps. J’attendais dans l’entrée principale. Ils sont apparus aussitôt que les portes de l’ascenseur se sont ouvertes. S’ils n’avaient pas exagérés leur démarche en se dirigeant vers moi, avec leur sarrau blanc ils auraient pu passer pour du personnel de santé traditionnel. Sans leur nez bien sûr. Ce nez rouge spongieux si caractéristique du clown. Dr Rubber et Dr Monde Dentier de SOS Clown allaient me permettre de voir de près leur travail.
J’avoue avoir été un peu intimidé au départ. J’étais figé, tentant de me rendre invisible pour ne pas nuire à leurs interventions. Doucement, j’allais comme ces petits vieux, tomber sous le charme de ces deux clowns, déguisés en docteurs…
Dans le corridor du premier étage, des personnes âgées assises discutaient entre elles, certaines dans des chaises roulantes, d’autres sur des triporteurs. Une madame atteinte de Parkinson s’agita à notre arrivée; difficile de déceler parmi ses mouvements, ceux qui étaient voulus et ceux provoqués par la maladie. C’était l’entrée en scène de mes deux intervenants. On allait visiter une douzaine de personnes; moi, toujours en retrait comme observateur, tentant de me faire le plus petit possible.

« Parlez-moi d’amour, redites-moi des choses tendres…»
À genoux, Dr Rubber caressa la main de Gisèle en prenant de ses nouvelles. Assise dans la salle de séjour, elle discutait avec sa nièce avant que les deux clowns apparaissent. Elle parlait de ce voyage à New York, des ces immeubles impressionnants qu’elle avait vus, des rues débordantes de monde. Quand on lui a demandé si elle voulait qu’on lui entonne une chanson, elle a souri telle une petite fille timide tout en acquiesçant. La chanson de Lucienne Boyer « Parlez-moi d’amour… » tombait à point. Lentement, les yeux pétillants de Gisèle se sont mis en vie sous la voix des deux docteurs au nez rouge. La musique, ça réveille des souvenirs. Dans ses yeux embués défilaient des images. Lesquelles? On ne saura jamais, mais la plénitude qui se dégageait de son visage annonçait que ses pensées en étaient des belles. Si belle et si frêle, Gisèle avec ses cheveux si bien coiffés, ses vêtements savamment assortis a voyagé pendant les quelques minutes qu’a duré la chanson, visitant son passé, revoyant au passage les personnes importantes de sa vie. Pendant tout ce temps, sa nièce les yeux dans l’eau, voyait s’illuminer le visage de sa tante. Pour elle aussi, ces quelques minutes d’allégresse sous les voix pas toujours justes de nos deux clowns ont fait le plus grand bien, constatant que Gisèle vivait un petit moment de bonheur.

Brigitte qui rajeunit sous nos yeux
Quand on est entré dans la chambre de Brigitte, c’est comme si le soleil était tout à coup apparu en pleine nuit. Sur sa chaise roulette, elle a tapé des mains et crié à quel point elle était contente de nous voir ! Embrassant tour à tour mes deux acolytes, elle m’a remarqué, appuyée en retrait sur le cadre de la porte. Elle m’a demandé de venir la voir, moi aussi j’aurais droit au beau gros bec mouillé… Fière de nous annoncer ses 98 ans, cette belle dame aux cheveux longs blancs était empressée de nous montrer la photo de son beau Raymond dans ce cadre doré près de son lit. Brigitte était un canon dans son temps, les photos d’époque le prouvent un peu partout dans sa chambre. Elle en avait beaucoup à dire. Trop contente d’avoir de la visite, elle nous a fait sortir les chocolats des grandes occasions. Ça sentait le bonheur dans la chambre. Sur son babillard, les photos de sa fille dont elle est si fière, ses garçons, ses petits enfants. Quand il a fallu quitter, après une dernière tournée de becs baveux, elle nous a suivis dans le corridor en riant pour nous dire qu’elle s’était trompé : elle n’avait pas 98, mais 92 ans. J’ai tout de suite pensé que c’était un effet secondaire de notre visite, ce rajeunissement subit.

Florence dans la brume
On m’avait averti avant d’entrer dans cette chambre que j’allais swinger de la patte. Florence joue de la musique, tape du pied et apprend même des chansons à nos clowns. Dr Rubber, a cogné doucement sur la porte pour s’annoncer. Florence était là, avec une des ses filles. Assise sur sa chaise roulante, elle n’était pas comme on me l’avait décrite. Les yeux brumeux, le regard absent, la bouche triste, le dos courbé, Florence ne passaient vraisemblablement pas une belle journée. Sa fille, la voix nouée, nous l’a confirmé : sa mère était méconnaissable. Presque aveugle, elle a tout de même balbutié quelques mots incompréhensibles quand elle a entendu les premières paroles de Dr Monde Dentier. La visite allait s’achever sous les baisers de nos deux intervenants quand une étincelle a mis feu dans le cerveau de Florence. Le bruit de la bombarde jouée par un des clowns est entré dans l’oreille de celle-ci pour embraser son cerveau. Ses pieds se sont mis à bouger lentement, mais avec rythme, ses mains peu à peu ont suivi. Elle n’était pas en forme, mais y avait une énergie qui se dégageait maintenant d’elle. Mes clowns venaient encore une fois de réveiller du coma une patiente. Comme par magie. Avec de la tendresse, de la musique et leur bonne humeur. Une autre prescription de bonheur.

Dans le lit de Monique
Quand mes deux clowns sont entrés dans la chambre de Monique, elle était couchée dans son lit. Alors qu’ils voulaient quitter pour ne pas la déranger, elle leur a demandé de rester, de s’assoir près d’elle et de la coller. Comme une petite fille qui manquait d’amour. Elle leur racontera cette histoire passée au Lac-Saint-Jean quand elle avait rencontré ces Américains venus pêcher. Cette histoire qu’ils avaient dû entendre des centaines de fois, la même qu’à chacune de leur visite. Monique était enjouée et répétait à qui mieux mieux qu’elle était si contente de recevoir de la visite. Elle a pourtant des enfants dans la région. Mais ils sont tellement occupés. Tellement qu’ils n’ont pas le temps de la visiter. Cette visite de mes deux comparses allait la contenter jusqu’à la prochaine. J’ai eu une pensée immédiate pour Laurette, ma grand-mère maternelle chouchoutée par sa famille jusqu’à ses dernières heures et j’ai eu un pincement pour Monique et ses enfants trop occupés qui ont troqué leurs responsabilités de présence contre leur propre petit bonheur. D’où l’importance plus que primordiale du travail des clowns que j’accompagnais, sans qui Monique serait encore plus seule.

À la fin de nos visites, dans le local qu’on leur accorde au CHSLD, quand ils ont enlevé leurs nez, j’ai pu voir le vrai visage de mes deux amis. Deux beaux petits gars dans la vingtaine qui, chaque semaine, viennent donner de l’espoir, infuser de la vie dans le coeur de ces vieux, mais surtout les envelopper d’amour. Ils sont une dizaine à faire ça. L’organisme s’appelle S.O.S Clown et j’ai décidé de participer à leur levée de fonds annuels. Je solliciterai, encore une fois, votre générosité, en vous expliquant un peu plus tard comment. D’ici là, prenez soin de vos parents et grands-parents.

N.B — Par souci d’anonymat, vous comprendrez que les noms ont été changés…

Boris et Sonya dans les Adirondacks

J’allais vous raconter mon long week-end à New York. J’allais vous dépeindre le visage radieux de ma fille qui, après 130 essais de robe chez Macy’s, mettait la main sur celle dont elle rêvait pour son bal de graduation en juin. J’allais vous décrire en détail le style tout personnel de ce petit bout de femme devenue si grande sur ses talons de 4 pouces. J’allais vous raconter tout ça avec humour et amour, mais cette pluie qui s’est rapidement transformée en neige est venue gâcher tout ça. J’allais vous raconter que l’on a patiné en plein coeur de Central Park, sous les lumières des gratte-ciels, sur cette glace offerte par le richissime Trump. Moi qui n’avais pas chaussé de patins depuis des années. J’allais vous dire comment c’était beau de voir toutes ces lumières autour de nous, mais cette neige abondante est venue bouleverser mon récit et rendue futile ces coups de patin sur la glace.
J’allais vous parler de ce restaurant italien découvert grâce à urbanspoon.com, vous décrire cette pizza venue directement de Napoli, dégustée près du foyer, sous les bouquets d’origan qui séchaient près du bar. Et cette pluie verglaçante est venu tout foutre ça en l’air en me laissant un goût plutôt amer.
Cette satanée pluie qui ne nous a pas lâché dès notre départ de New York pour se changer en neige au milieu des Adirondacks. Cette neige qui a transformé la chaussée en une patinoire plus glissante que celle de Central Park. Cette neige qui a surtout fait déraper la voiture de Boris et Sonya Begelman, transformant ce long simple week-end en aventure humaine.
C’est en plein coeur des Adirondacks, ce parc si semblable à celui de la Réserve faunique des Laurentides, que l’automobile de Boris et Sonya a été emboutie avec une malchance inouïe par celle de leur fille qui les suivait. Le choc fut brutal; sûrement pas attachés, Boris et Sonya ont passé à travers le pare-brise de leur voiture. Quand nous sommes arrivés sur les lieux de l’accident, nous étions les premiers, Karine et moi. J’ai débarqué rapidement de la voiture pour m’enquérir de l’état des occupants. Le gendre, en sang, debout, cellulaire en main, tentait d’appeler le 9-1-1 pendant que ses mains tremblaient sous le choc et le froid. Aussitôt que j’ai aperçu Boris gisant sur la chaussée, j’ai crié à Karine, ma conjointe infirmière de venir me joindre. C’est elle qui prendrait les choses en main en attendant les ambulanciers. Le policier arrivé sur place 2 minutes après nous ne semblait pas du tout à l’aise dans son rôle improvisé d’ambulancier et semblait tellement apprécier notre présence qu’il a laissé Karine mener complètement les mesures d’urgence. Pendant qu’elle s’occupait de Boris, j’ai couru chercher les couvertures que les enfants avaient apportées, pour dormir durant cette longue route, afin d’en couvrir les blessés. Plaies béantes, hémorragie interne, fracture ouverte, Boris avait les jambes toutes croches et ne ressentait surtout plus aucune sensation dans celles-ci. Pendant les manoeuvres plus délicates de Karine, je m’assurais de garder son attention. Stay with us, Boris, help is coming. En fait si je veux être honnête, je l’appelais Morris. Et toutes les fois, il me rappelait qu’il s’appelait plutôt Boris. C’est fou comme ces petits détails deviennent importants. Alors que je me foutais carrément de son nom, mais pas de sa survie, Boris s’accrochait à son nom. Comme à une bouée. Le père de Karine, Jean-Claude, venu prêter main-forte à notre équipe a suivi les consignes de sa fille à la lettre, pressant les plaies préalablement pansées. Quand nous sommes revenus à la voiture, alors que les ambulanciers avaient pris la relève, on avait les cheveux tout mouillés, les vêtements trempés, les mains gelées, mais un sentiment du devoir accompli. Nous avions les émotions à fleurs de peau.
Je voulais vous parler du visage radieux de ma fille qui a acheté sa robe de graduation à New York, mais je vous décrirai plutôt la fierté et l’admiration qu’elle a ressenties quand elle a pu observer cette manoeuvre d’urgence réalisée sous ses yeux. Constater notre simple devoir de citoyen. Moi, ce sont les yeux de Boris que j’ai en tête, pendant que je lui tenais les mains pour le réchauffer pendant que cette foutue neige transformée en eau lui enlevait toute chaleur. Je m’en fous que tu t’appellais Boris ou Morris, je souhaite seulement que l’on n’ait pas tout fait ça pour rien…

MISE À JOUR >

J’ai fouillé sur internet une bonne partie de la soirée à la recherche de nouvelles afin de connaître l’état de santé des gens que nous avions aidés. Je suis tombé sur un article du Adirondack Daily Enterprise relatant un accident survenu dans le parc, quelques heures avant notre passage. J’ai contacté le journaliste auteur de l’article, Chris Knight pour lui demander s’il en savait un peu plus sur l’accident dont nous avions été témoin. Hélas, après quelques échanges de courriels, il n’avait aucune information supplémentaire à me fournir… jusqu’à ce matin. Il m’a fait parvenir un courriel avec un lien menant au journal Press Republican qui relatait un accident semblable à ma description avec les mêmes prénoms. Pas de doute, c’était notre tragédie!
En relisant l’article, je me suis rendu compte que j’avais réalisé quelques erreurs de description dans mon billet. Voici donc un résumé de ce qui s’est véritablement passé : en provenance de Brooklyn, Igor Begelman, accompagnés de ses deux enfants a perdu le contrôle de son automobile percutant la barrière d’accotement. Boris et Sonya Gelman voyant la situation ont stationné leur voiture derrière pour évaluer les dégâts. Au même moment, sur la même route, Kseniya Vasilyen perdit le contrôle, elle aussi, et percuta les deux voitures en écrasant le couple Gelman entre celles-ci. C’est l’élément qui manquait à mon histoire… J’ai bien vu un débris dans le ravin, mais je croyais que c’était un parechoc enseveli alors que c’était la voiture d’Igor qui a certainement glissé là sous l’impact. La femme que j’avais prise pour la fille de Boris leur était parfaitement inconnue. Ce qui explique le manque total d’empathie de celle-ci pour les accidentés; elle était la cause bien involontaire, j’en conviens, de toute cette histoire. L’état de santé des Gelman est toujours critique, celle d’Igor passé de sérieux à critique. Beau bordel finalement.

Voici le lien de l’histoire.

Pipi dans le Fortrel™

J’ai 10 ans. Je suis assis sur un banc de l’église Sacré-Coeur à Chicoutimi. Dans le Bronx de Chicoutimi. C’est le jour de ma Confirmation. Moment solennel pour un enfant des années 1970. En avant de moi, Monseigneur Marius Paré s’apprête à nous beurrer le front avec son huile. En arrière de moi, au fond de l’église, mes parents et ceux de mes amis, fiers dans leurs plus beaux habits. À côté de moi Dany Gaudreault, mon ami, n’arrête pas de dire des conneries. C’est un classique, les Églises provoquent les fous rires. En fait, tous les endroits où il faut garder son sérieux : enterrement, église, entrevue d’embauche, etc. J’ai un look de maffieux. Je porte un pantalon bleu marin avec des lignes blanches, une veste assortie pas de manches sur un col roulé blanc en laine d’ou émerge une chaîne en or arborant un crucifix. Ce sont les années 70, je vous rappelle. Les années ou la plupart de nos vêtements étaient fabriqués par nos mères. C’était surtout l’époque du Fortrel™. Ce tissu synthétique révolutionnaire, non froissable, raide qui avait la mauvaise manie de piquer la peau. La coupe de mes pantalons était fuseau élargi. Trop courte. Ma mère n’avait sûrement pas anticipé la mode des souliers Patof, ces souliers ballon avec talon nous donnaient une couple de pouces de plus. J’ai une classique coupe de cheveux «René Simard», quoiqu’à cause du blond de ma tignasse je ressemble un peu plus à son frère, Régis. Ces deux bouffeux de petit pouding Laura Secord.
Ça fait maintenant 3 fois que l’on se fait avertir Dany et moi. On est pas encore confirmés qu’on va devoir se confesser. Je ne me souviens pas ce qu’il a pu me dire cette fois, mais là je sens décoller du fin fond de mon âme, un fou rire de la force d’un tsunami. Impossible que je le garde, mais en même temps, je ne peux le laisser sortir. Si je le fais, on entendra ce rire jusque dans le jubé, voire même à l’Évêché, dans le centre-ville. Je me contorsionne du mieux que je peux pour l’éteindre, mais c’est plus fort que moi. Je ris. Ris. Et ris. Et là, qu’est-ce qui se produit quand on est un enfant et que l’on rit trop? Je sens tout à coup le long de ma cuisse descendre un mince filet chaud… Pipi! Je suis en train de pisser! Je suis en train de me pisser dessus. Ce connard de Gaudreault m’a tellement fait rire que j’en pisse dans mes culottes. À l’Église. Ben paquetée. Pendant ma Confirmation. Et celle de 200 autres flots. Je capote. Ma vie est fichue. Cet événement va bouleverser ma vie à jamais. Je serai celui qui a pissé devant 400 personnes à sa Confirmation. On me pointera du doigt, et quand j’aurai 50 ans, on se souviendra de moi uniquement par ce détail. On se rappellera en me voyant : hey te souviens-tu de Gauthier? Non? Ben, oui tu le connais, c’est lui qui avait pissé dans ses culottes à notre Confirmation… L’enfer. Je passerai à la postérité pour avoir uriné en public. Alors que j’entre à peine dans mon adolescence, avant même qu’apparaisse mon premier bouton, on m’aura déjà affublé de tous les surnoms inimaginables. Pissou. Pisseux… Ma vie est carrément terminée. À l’eau (sic).
Alors que je suis perdu dans mes pensées les plus noires, je sens mon déluge urinal mourir dans mon bas (blanc à deux lignes, rouge et blanc… et jaune). Voilà, j’ai enfin réussi à me contrôler. La fuite est colmatée. Je suis bien assis sur ma flaque. Je suis pathétique. En regardant autour de moi, je constate que personne n’a encore rien remarqué. Ça ne saurait tarder, car voilà qu’on nous demande de nous lever. On doit s’avancer en file indienne : Monseigneur va enfin nous nous tracer sa croix dans le front… et moi, je devrai en plus affronter les regards dégoutés de 397 personnes et particulièrement ceux de deux personnes marquées par la honte à tout jamais, mes parents.
J’ai le goût de pleurer, de disparaître ou simplement me glisser de tout mon long et me cacher sous le banc. Mais je dois me lever. Je n’ai pas le choix. Je prends une grande respiration…
Étrange. Aucune trace. Rien. Nada. Je suis debout et je ne vois rien d’anormal. Le banc est sec. Aucune flaque par terre. J’ai bel et bien fait pipi, mais le Fortrel™, ce merveilleux tissu révolutionnaire semble avoir une qualité d’absorption incroyable jusque-là ignorée de tous. Je sens l’humidité, certes. Ça pique. Ça pue. Mais ça ne paraît pas. Le bleu marin cache la tache. Aucune preuve. Aucune piste (sic). Je vais finalement m’en sortir. Ma vie ne sera pas gâchée finalement. Uniquement mon pantalon.

Je veux, je veux, je veux, mais je veux pas payer

Downsizing vs. Rightsizing
Un article intéressant de La Presse signé Marie Allard, traitant de la réduction des formats dans l’alimentation (downsizing) a retenu mon attention ce matin. On y explique que l’augmentation des valeurs premières (on cite l’exemple du prix du cacao qui a monté de plus de 25 % en deux mois) combinée à un refus catégorique des clients de payer plus, forcent les fabricants à réduire le format de leurs produits de façon considérable. Un exemple frappant l’Oeuf de Pâques Cadbury qui passe de 39g à 34g, question de garder un prix plancher. Cette notion n’est pas nouvelle pour moi. J’ai des clients qui sont dans le domaine alimentaire ainsi que de la restauration, alors je comprends très bien la problématique dans laquelle sont plongées ces entreprises. Quand tes matières premières reçoivent une hausse de 25 %, on s’entend pour dire que ce sont tes profits directs qui en souffrent; le domaine alimentaire n’étant pas reconnu pour en être un à large marge, alors il est assez facile de comprendre pourquoi ces commerces doivent réagir rapidement. Assez facile à comprendre? Mmm… pas pour tout le monde, semble-t’-il. On cite dans l’article de La Presse, les analystes d’Option Consommateurs qui décrivent la pratique du downsizing, « sans être illégale de choquante… ». Pour leur part, les fabriquant parleraient plutôt de rightsizing, simple question de mettre à niveau. Suis-je le seul à trouver la version des entreprises, logique?

Cacher cette augmentation que je ne saurais… boire.
On diabolise le méchant fabricant qui « crosse » le consommateur de 10 %. Alors qu’il ne fait que ce que demandent les consommateurs : ne touchez pas au prix! Comme ceux-ci ne veulent pas payer une cenne de plus, le fabricant cré l’illusion que rien n’a changé…  Les consommateurs désirent un statu quo sans penser à qui seront facturées les frais d’une augmentation des matières premières? À personne? C’est impossible. On parle ici, d’une négation de la réalité. On ne veut pas le savoir; on ne veut surtout pas un emballage qui nous nous annoncerait : maintenant avec 25 % de moins! On préfère se fermer les yeux… On veut, on veut, on veut, mais on veut pas payer!

Toute vérité n’est pas bonne à entendre
On demande de plus en plus de transparence aux entreprises. Les réseaux sociaux ont permis un canal d’information incroyable entre les fabricants et leurs consommateurs. Mais ces derniers veulent-ils vraiment entendre la vérité? Veulent-ils vraiment comprendre la réalité que vivent certains marchés? ll existe un monde entre la perception que se font les consommateurs et la réalité. Dites-nous que nous sommes fins, que vous nous aimez, mais ne nous dites surtout pas que vous passez des moments plus difficiles. Nous vivons encore dans une société où l’entreprise ou le patronat sont décrits comme des profiteurs et des machines à imprimer de l’argent sans sentiment, et le consommateur comme un esclave que l’on exploite. Le méchant commerçant vs le gentil consommateur. On pense, trop souvent à tort que les entreprises profitent toujours des situations en leur faveur. Je travaille avec des entrepreneurs de milieux très différents : alimentation, industrielle, service professionnel, etc.; chacun avec sa réalité. Des entrepreneurs qui tentent bien que mal de sortir gagnants d’une lutte pas toujours facile où la concurrence est omniprésente et provient maintenant du monde entier. Penser qu’il y a juste le consommateur qui paie les frais des augmentations ou de la réduction des profits, c’est nier les mises à pied et les fermetures. On vit dans une société de consommation en le niant. Oui, je veux bien que l’on fasse de la simplicité volontaire, mais ça prendra toujours un payeur pour permettre de le faire. On ne peut pas vivre avec les biens que quelqu’un d’autre te cède si personne ne consomme rien — j’ai toujours en tête cette fille qui se vantait de ne pas acheter de vêtements griffés à ses enfants, mais qui acceptaient ceux des miens avec plaisir; n’est-ce pas là encore un déni ?

Dans un monde idéal, les prix ne changeraient jamais, ni le format des produits. Dans un monde idéal, on ne payerait pas d’impôts et aucunes taxes ne seraient perçues et les services gouvernementaux seraient toujours là, mais plus rapides et améliorés. Ce monde-là existe. On l’appelle Utopie…

Premier degré

Ce n’est pas un truc nouveau. Je sais. Je travaille dans le domaine des communications depuis assez longtemps pour réaliser la chose. Mais toutes les fois, je suis stupéfait. Stupéfait et un peu déçu. Ça ne me revient pas. L’absence généralisée de dimension des gens me décourage.
Aussitôt que l’on sort un tant soit peu de l’ordinaire, on perd du monde comme ça ne se peut pas. Difficile de sortir les gens de leur routine, leur « steak, blé dinde, patate » est ancré dans leur petite personne et est y incrusté comme une tare. Le changement fait peur. Terrifie. Ça me rappelle quand les ados à la maison parlent du pain « normal » pour différencier le pain chimique capable de rester moelleux pendant 100 ans (!!!) du pain sorti de la boulangerie artisanale qui devient rassis presque le lendemain. La normalité, comme dans bien des cas, est dictée par une notion de nombre. Tout le monde mange de la marde, alors de la marde, c’est bon… Ça ne peut être autrement. Le nombre le dicte. C’est donc vrai.
Si les gens voyaient plus loin, au-delà des images et des mots qu’on leur suggère; s’il prenait la peine de voir plus loin que leur nez, ils verraient que la réalité a plus d’un visage. Que leurs vérités personnelles ne seraient pas aussi tranchantes et radicales s’ils se donnaient la peine de sortir de leurs nombrils. Qu’il existe plusieurs solutions à un problème. Que la saveur du moi, c’est pas toujours la meilleure.
Quand on sonde la population, quand on les interpelle, il est souvent navrant de voir la petitesse dans laquelle se vautre celle-ci. Comme si le monde s’arrêtait à leur dimension personnelle. Fini. Plus loin, c’est le néant. Un dead end. On gobe les âneries que nous dictent de parfaits inconnus dans des émissions de télé-réalité, on leur accorde autant d’importance que si ces élucubrations venaient d’Hubert Reeves lui-même. On reste au premier degré. On effleure les sujets. On a le nez dans le sommaire sans entrer dans le livre. On fait du lèche-couverture, mais on ne lit pas le contenu.
Il me semble que le monde a tellement à offrir. Que les idées des autres peuvent vous amener à douter des vôtres et ainsi les améliorer. Qu’à force de se trouver bon, on y croit un peu trop et que l’on néglige de se contester. L’auto-critique est tellement un signe d’intelligence.
J’admire ces gens qui se trompent. Se tromper, c’est s’être donné la chance de créer de quoi de nouveau. Ça n’a pas fonctionné? Peut-être pas cette fois, mais ça ne veut pas dire jamais. J’aime ces entreprises qui prennent des risques. Des entreprises bâties sur de la passion et non des chiffres. J’aime quand ces entreprises sortent des produits avec leur coeur et non leur tête. Quand elles préfèrent se fier à leurs pifs au lieu de sonder ses clients potentiels. Si on avait demandé aux clients d’Apple comment ils voyaient le futur iPhone avant sa sortie, on n’aurait jamais eu droit au produit que l’on connaît maintenant. Parce qu’il n’existait pas avant. Il a fallu l’inventer. Les gens ne peuvent exiger que ce qu’ils connaissent. Alors, bye bye l’innovation.
En regardant l’image de désodorisant qui orne mon billet, certains y verront de l’ironie, d’autres y verront uniquement un bâton antisudorifique. Certains resteront au premier degré, sans se donner la peine d’aller plus loin. Ils n’auront pas tout à fait tort : les gens qui restent au premier degré me font suer…

Chroniques Sénégalaises – Partie 9 et fin…

Je suis assis devant une bière à l’Aéroport PET et je regarde en boucle certaines séquences vidéos qui sont sur mon MacBook. J’ai des fous rires. Des yeux dans l’eau. Des souvenirs imprégnés dans ma mémoire. Le film est accessoire, tout ça, c’est gravé à vie sur mon disque dur interne. Ma mémoire vive.
Quand je suis parti dimanche à 15 h – (10 h 30 heure du Québec) —, j’ai laissé des étudiants qui finiront leur stage humanitaire dans les jours qui suivront. Des étudiants qui m’ont laissé participer à leur trip, qui se sont livrés à moi en m’acceptant comme un des leurs alors qu’ils avaient pour la plupart l’âge de mon fils. Merci à vous tous, merci à Chantale de m’avoir laissé autant de latitude.
Quand je suis parti dimanche à 15 h, nous devions partir à 14 h. Mais tout est lent au Sénégal. La notion de temps n’existe pas. Du moins pas comme ici. À l’accueil de la clinique quand les étudiants demandaient aux patients leurs âges, la plupart hésitaient ou répondaient vaguement. Comme si les Sénégalais avaient un âge incertain où que cette notion ne fût pas importante. À bien y penser, l’est-elle vraiment?
Quand je suis parti dimanche à 15 h, nous roulions sur une route poussiéreuse et les gens sortaient des champs pour nous saluer de toutes leurs dents. Bye Bye Toubab! J’avais l’impression égoïste que tous ces saluts m’étaient destinés même si nous étions 5 dans la voiture. Je m’appropriais ces adieux pour moi tout seul. Parce que ce voyage-là était différent pour moi, j’en avais rêvé depuis si longtemps.
Les gens qui voyagent pour visiter des statues ou des montagnes passent à côté du vrai voyage. Les vrais voyages passent uniquement par les gens que tu rencontres. Quand on apprend comment ils vivent, quelles sont leurs réalités et ce, sans porter de jugement, mais en essayant tout simplement de comprendre. Un soir de postclinique, Chantale a laissé Malick s’occuper de parler aux étudiants. Je ne suis pas infirmier, mais j’ai trouvé cet exposé sur la santé communautaire tellement inspirant et surtout applicable à plein d’autres niveaux que la santé. Son discours expliquait la différence entre la santé dans un hôpital et celui qui s’exerce en brousse par la compréhension des réalités des habitants; le manque de ressources, de moyens financiers, des distances, etc. À la blague, alors que nous avions marché une douzaine de kilomètres, des étudiants, Malick et moi j’ai nargué les étudiants en leur disant : imaginez, certains patients que vous rencontrerez demain auront marché ce parcours pour vous rencontrer et devront le refaire chaque jour si vous leur donnez un médicament quotidien. Il faut marcher dans les souliers des gens avant de leur dire qu’ils doivent changer ceux-ci, sinon tout est théorie, belles paroles, beaux discours. Vis avec les gens et avec leurs moyens et tu pourras critiquer leur façon de vivre. Pas avant.
J’ai quitté l’Afrique, mais l’Afrique ne m’a pas quitté. J’y retournerai. Pour revoir ces sourires à pleines dents. Pour revivre cette naïveté. Pour entendre les enfants me demander comme dans le Petit Prince : « comment tu t’appelles? » Pour pouvoir rencontrer des gens extraordinaires comme Malick, Boubacar, Anta, Modou, Dan, Awa, Dieudonné…

Chroniques Sénégalaises – Partie 8

Une des craintes partagées par notre équipe dans notre voyage humanitaire portait sur la qualité de la nourriture, sa quantité et sa salubrité. C’était avant que Dieudonné Gandoul se joigne à nous à Thiaré. Ce dernier est notre chef attitré. Il est responsable de planifier les achats pour la cuisine et de préparer les repas, matin, midi et soir. Et il est très bon. Nous avons eu droit à des spécialités sénégalaises comme le sombi dijierté (riz au lait amélioré), un plat qui goûte et ressemble à un tapioca : un riz très collant avec des noix et des bananes; le thièbe djiéne (riz au poisson) — poisson frit avec riz tomaté épicé et légumes; thièbe yapp (rz à la viande) — riz avec boeuf et légumes; thiou à la viande de mouton — on aurait pu ajouter récalcitrante sous la dent… mais au goût c’était excellent; du poulet yassa — riz et poulet mariné. Mais comme la bouffe est de plus en plus métissée et que les cuisines se ressemblent, nous avons eu aussi droit à du couscous marocain aux légumes, du spaghetti bolognais et du poulet frit. Servi à la sénégalaise dans de grands plats que tout le monde se partage. Stratégiquement, il faut savoir avec qui se placer. Un conseil, si c’est un plat que vous aimez, évitez de vous assoir devant un goinfre…
Comme je filtre l’eau tous les jours et que cette besogne est réalisée près de la cuisine, combiné à ma passion de la bouffe, j’ai eu la chance de discuter souvent avec Dieudonné. Quand il était enfant, il avait deux rêves, celui d’être infirmier et celui d’être cuisinier; le voilà comblé de préparer les repas dans un dispensaire de santé pour un mois. Charmeur et bavard, il m’a raconté qu’à sa naissance, son père et sa mère ont divorcé et que son père avait demandé et obtenu la garde de celui-ci. Mais comme son père ne s’est jamais remarié, il s’était rapidement retrouvé pensionnaire chez les pères catholiques pour y parfaire son éducation. Il fait donc partie du maigre 5 % de confession catholique alors que plus de 85 % de la population sénégalaise est musulmane. Une religion pratiquée à la sénégalaise : calmemement et pacifiquement. Les chants à Allah nous réveillent chaque matin vers 6 h 15 et reviennent 3 fois dans la journée. Même si la religion, c’est une affaire personnelle, je ne peux m’empêcher de penser à Richard Desjardins qui disait « Que cé que le Bon Dieu a contre l’Afrique…» quand je vois les conditions difficiles dans lesquelles certains vivent en région comme Thiaré…
EN VRAC
Je ne suis pas le seul a avoir eu ma dose d’émotion. Alors que la clinique était fermée un peu avant le souper et que chacun de nous était dispersé, une femme et son jeune poupon se sont présentés. La petite éprouvait des difficultés respiratoires majeures. Un étudiant l’a pris en charge et lui a fait une technique de claping. Le petit corps inerte de la petite dans ses bras, lui faisait craindre le pire. Après une dose de Ventolin, la mère est repartie avec un enfant qui nécessiterait des soins beaucoup plus spécialisés que ceux dont est capable de dispenser la clinique. C’est le constat difficile que ce futur infirmier a été en mesure de vivre…
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Selon un sondage paru dans le Dakar Life, un magazine acheté dans la rue jeudi, la femme idéale pour le Sénégalais a la peau claire; une poitrine généreuse; ni trop ronde, ni trop mince; élancée; cheveux longs; pieuse religieuse croyante; âgée de 25 à 29 ans; niveau Bac et au-delà; elle doit savoir éduquer et elle ne doit pas être menteuse… Pour ma part, je peux vous garantir que la femme sénégalaise est vraiment très jolie…
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Vendredi soir, nous avons eu droit à un petit party improvisé : les griots sont venus jouer du djembé en face du dispensaire pour nous faire danser. Oui, oui, je me suis encore couvert de ridicule… On a été rapidement rejoint par une foule. La danse africaine, c’est génial, séduisant et très physique. Fallait voir les petites d’à peine 3 ans donner des coups de hanches sur le rythme des percussions… On avait du sable jusque dans le fond de nos bobettes…

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