Melomarc™ – Cocteau Twins / Treasure
Voici un nouveau billet de la catégorie Melomarc™ qui tente de répertorier les albums de musique qui ont marqué ma vie jusqu’à maintenant. Voyez ça comme un voyage à travers mes souvenirs et ma collection d’albums; où la véritable histoire de l’album vit en parallèle de la mienne. J’ai décidé de partager ces coups de coeur musicaux sur mon blogue, mais aussi de les faire découvrir plus personnellement à certaines personnes, en leur offrant l’album décrit via iTunes. Surveillez vos boîtes de courriels, vous aurez peut-être le privilège de recevoir un de ces albums… mais surtout, ouvrez vos oreilles et vos coeurs. C’est la mélodie du bonheur.
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Difficile d’écrire les yeux dans l’eau.
Difficile de ne pas pleurer quand on joue dans ses souvenirs. Le coeur est un organe fragile. Comme presser un citron avec une main gercée.
Tellement de choses se sont produites depuis 18 ans. Tellement. Le monde est différent. Ma vie. La tienne. Tout se bouscule à une vitesse vertigineuse. Tout va trop vite. Trop vite. Beaucoup trop vite.
J’ai de plus en plus d’années d’imprégnées dans le visage alors que le tien n’a aucune trace même quand tu passes une nuit debout. L’injustice de l’âge pour moi. Le privilège de la jeunesse pour toi. Fuck. Je donnerais tout ce que j’ai pour aller te rejoindre dans ces belles années.
J’avais vingt-neuf ans quand tu es né. À l’aube de la trentaine. Pauvre, mais travaillant, j’étais encore en devenir. Tu es arrivée sans crier gare. Sans avertissement. Les langues sales parleraient d’accident. Jamais accident n’aura été aussi bienvenue. Il y dix-huit ans, le premier avril 1994, naissait une petite fille au nom de Frédérique Perron Gauthier.
Ma fille à moi. À moi.
Tu ne savais pas tout ce que pouvait représenter la naissance d’une fille dans une famille endeuillée comme la mienne. Personne n’est remplaçable, tout le monde est unique, mais toi, tu es arrivée comme un petit ange prendre une place qui était libre depuis trop de temps. On n’a pas voulu t’appeler Monique, comme ma soeur, mais tu portes la dernière syllabe dans ton prénom. Comme une petite médaille. Un tattoo.
J’ai pleuré à ta naissance. Comme je pleure aujourd’hui en t’écrivant ce petit mot. Avec les années, je suis devenu incontinent de l’oeil. J’ai tellement refoulé de larmes dans ma vie qu’aujourd’hui j’ai de la misère à tout contenir. Comme un trop-plein. En vieillissant, les pleurs sont difficilement attribuables à de récentes blessures. Le passé est omniprésent, prêt à te rattraper, à te rebondir dessus, à te faire payer de l’avoir caché aussi longtemps. Le passé est implacable et rejaillis au moment où tu ne l’attends le moins. Tu as la chance de modifier ton futur, mais jamais ton passé. Tu verras.
Demain, tu auras 18 ans. Je pleure, certes , mais mes larmes ne sont pas que de peine. Ça me fait triper de penser que tu sois devenue une femme. Une femme de plus en plus sûre d’elle, ouverte sur le monde, créative et surtout indépendante. Je voudrais que tu conserves cette qualité en toi, celle de ne pas dépendre de personne. D’être maître de ta personne. De te forger tes propres idées. À toi. De créer ton avenir. Pas celui des autres. Le tien.
Et que vient faire Cocteau Twins dans ce billet? C’est ce que j’écoutais en 1984, dix ans avant que tu naisses, à mes 19 ans. Ce disque qui joue présentement dans mes oreilles pendant que je t’écris est pour moi intemporel, comme quoi la créativité, l’originalité et le talent sont une fontaine de jouvence. Et comme ces qualités sont aussi tiennes, tu as de grandes chances de rester jeune longtemps. Treasure me rappelle aussi ces années importantes qui seront les tiennes. Ce trésor. Cette vingtaine qui s’amène, ce début de vie où tout est encore possible, où tous les chemins sont disponibles. Où tous tes rêves sont encore possibles. Ces belles années qui te forgeront. Ne laisse personne ne te les enlever. Elles sont tiennes.
C’est ta vie. Fonce! Sans crainte. Car il y a un ange qui veille sur toi, là-haut. On ange avec lequel ton prénom partage une syllabe.
J’ai offert Cocteau Twins / Treasure à ma fille Frédérique, parce que c’est sa fête bien sûr, mais surtout parce que je l’aime plus que tout. x x x.
> Cocteau Twins / Treasure sur iTunes
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Je, Nous.
Dernièrement, je n’ai pas été très bavard sur les médias sociaux. Mon blogue, inactif depuis près d’un mois, sa refonte me créant un alibi béton pour m’en éloigner, croule sous une série de brouillons non terminés. Mon compte Twitter sent la boule à mites, tout aussi poussiéreux que mon bureau et à part certains partages musicaux sur Facebook, ma participation sur les réseaux est inexistante. Je dis bien ma participation. Uniquement. Car je suis toujours là. En mode veille. À vous regarder, à vous lire. Et surtout à réfléchir. Une réflexion personnelle pour me faire ma propre idée sur l’actualité et ses débats. Pas celle de la masse et de ces influenceurs, mais la mienne.
Je me méfie des mouvements de masse. Je me méfie quand tout le monde pense la même chose. Je fuis les doctrines et les partis politiques, car je considère que la vérité est ailleurs et beaucoup plus complexe qu’un mouvement de droite ou de gauche. La démagogie est beaucoup trop présente, d’un côté comme de l’autre, pour que je décide d’appartenir à un seul clan. Mon monde ne se divise pas entre les gentils et les méchants. Les extrémistes me font peur, car ils n’envisagent rien d’autre que leurs visions, diabolisant celle des autres.
Rien n’est tout noir. Rien n’est tout blanc. Tout est en nuance.
Au lieu de boire aveuglément les paroles de ceux qui vous influencent, contestez-les. Contre vérifier. Investiguer. Ne prenez pas tout pour du cash. Les réseaux sociaux ont permis un partage souvent trop facile d’informations erronées. On partage à grands clics des liens qui véhiculent de demi-vérités ou de vrais mensonges. Provenant de sources douteuses. Du moment que ces idées réconfortent ses paradigmes, on colporte des ragots basés sur des études floues ou inexistantes.
Je lis les textes de gens dont je ne partage pas les idées. Je lis des journaux de droite, de gauche, et surtout d’ailleurs dans le monde. Ça permet de faire le focus plus facilement. De se faire une idée personnelle plus juste. Un souverainiste qui lirait uniquement L’aut’ Journal n’a pas plus de perspective qu’un auditeur de droite branché sur Radio X. La grande différence entre dialoguer et monologuer.
Bien sûr qui a des trucs que je lis qui me font grincer des dents, qui me bousculent et m’écoeurent, mais la vérité n’est justement pas toujours géniale. Et pas toujours comme vous le souhaiteriez. Sinon vous préférez vous vautrer dans le mensonge. Suivre les courants, bêtement. Tirer une ligne sur les gentils, ceux qui pensent comme vous et les méchants, ceux qui pensent autrement.
Les grands mouvements me laissent indifférent parce que pour une poignée de leaders, il y une masse de lemmings prêts à les suivre au bout de la montagne. Pour la cause. Haaaa, la cause. La noble cause. Parce qu’elle aussi fait partie du problème. La dissidence n’est jamais tolérée. Il faut se tenir. Serrer les rangs. Pour être certains de ne pas se laisser influencer. La droite n’admet jamais que certains arguments gauchistes tiennent la route, comme la gauche vomit sur tous les arguments de droite. Les gentils et les méchant. Ses amis et ses ennemis.
Je suis fier d’avoir des amis de différents milieux. Des amis qui ne pensent pas comme moi. Je ne voudrais jamais appartenir à un clan. Parce que c’est avec des clans, qu’on prend le chemin de la guerre.
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Réincarnation de marc™
Lors du dépôt d’un appel d’offres, on me demande souvent d’exprimer ma vision d’entreprise sur les droits d’auteur par rapport à mes créations. En termes plus simples, à la suite de la conception d’une marque, qu’elle sera la marge de manoeuvre du client quant à la propriété intellectuelle de celle-ci. En terme encore plus cru : hey coudonc, cé tu à nu’ aut’ ou pas, c’te logo-là ou c’te concept-là?
Oui. Absolument. Tout à vous.
Dans ma philosophie, toute création réalisée dans un mandat précis, c’est-à-dire à partir d’une commande d’un client, appartiendra au dit client aussitôt les honoraires payés. Ainsi soit-il. Payez et recevez. Aussi simple que ça.
Vous pourrez en faire ce que vous voudrez. Appliquer ce concept sur le média que vous voulez. Vous en serez propriétaire, et donc en mesure de vous en servir comme bon vous semblera.
Bien sûr que j’aimerais garder un oeil sur la façon dont vous ferez évoluer cette création, afin d’en assurer la pérennité et l’évolution correcte, mais je comprends qu’il est parfois impossible de le faire. J’en conviens que certaines idées vivront mal la transition, comme d’autres subiront une belle évolution.
Comme je ne m’attache pas ou peu à mes concepts plus qu’il ne le faut, disons que leur deuxième vie, quand ils quittent ma tête, m’importe peu.
Il vous faut un exemple? En voici donc un beau..
En 2005, je créais pour le compte des Fermes Laurier Bouchard, une identification qui allait orner tous les emballages de boeuf que ces producteurs de la région mettraient en marché. Étiquettes, PLV (pièces en lieu de vente), camion de livraison, etc., allaient être aux couleurs de ce petit cultivateur sympathique qui avait troqué sa fourche pour une fourchette. Deux ans plus tard, l’entreprise connaissait quelques difficultés et dû se départir de sa division de coupes de viandes. Rachetée rapidement par un autre groupe, la marque continua de vivre et le boeuf d’être livré dans les supermarchés et les restaurants. Le consommateur n’y voyant que du feu puisque le même boeuf se trouvait dans le même emballage aux mêmes points de vente. Même bon goût, même qualité. La nouvelle entreprise de distribution avait continué à me consulter pour créer quelques nouvelles étiquettes. Et la marque repris du service, sans que l’on ne se rendre compte de rien. Jusqu’à ce qu’un nouvel épisode difficile concernant des problèmes d’approvisionnement revienne hanter la nouvelle entité. Cet incident marqua la fin de la marque de commerce «Boeuf Laurier Bouchard». L’entreprise de distribution cessa ses activités et vendit ses actifs au plus offrant. Business as usual. Les marques naissent, comme elles meurent. Et quelquefois elles se réincarnent…
L’an passé, un camion de livraison passant sur la rue attira mon regard. Sur le flanc du camion, en grosses lettres étaient inscrites « boeuf de qualité 100 % régionale » et tout au-dessous, une petite bonne femme, une bouchère avec une fourchette géante à la main. J’avais devant les yeux la preuve que la résurrection existe : mon logo revivait. Oui, notre cultivateur avait changé de sexe et de métier, sa ferme offrait maintenant une plus grande variété de produits, mais l’essentiel de l’identification était là. La nouvelle entité avait avalé la marque et décidé de l’adapter à ses besoins sans sentir le besoin de m’appeler. Peut-être elle ne savait même pas que j’étais à l’origine de la création de la première mouture. Voilà. Tant que les gens qui ont adapté la marque originale ne s’attribuent pas l’idée d’origine, je souhaite longue vie à Qualité Bouchard!
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Tout nouveau, tout beau
Dans un billet prémonitoire du début de l’an 2009 (!), j’annonçais un changement de look pour ce blogue. Bon. J’avoue qu’en en planifiant la présentation en février 2009, je me suis trompé d’année, mais pas de mois. Y a toujours ça de pris. Pas toujours facile la clairvoyance. Tout autant que de travailler pour soi.
Une nouvelle imagerie.
Inventé, lors de la création de ma dernière carte de Noël, ce drôle de petit bonhomme qui me caricature est devenu rapidement mon avatar dans Facebook. Prenant tour à tour les mimiques du moment, il fait maintenant partie intégrante de mon imagerie personnelle. J’ai fait produire des estampes qui ornent mes enveloppes et mes factures (si vous en voulez un exemple, ça me fera un plaisir de vous facturer…) et orneront bientôt mes prochaines cartes.
Mêmes billets, mais moins de catégories.
Avec les années, disons que je me suis dispersé un peu. J’avais des catégories inventées pour un seul billet, comme d’autres qui se dédoublaient. J’ai donc décidé de diminuer celles-ci en espérant respecter ma nouvelle logique d’écriture. L’ajout d’icônes me représentant vous aidera à mieux naviguer et ainsi lire des billets que vous auriez manqués. La disparition de la catégorie « portfolio », devenue désuète avec l’apparition d’une section consacrée à mes productions passées, ainsi que celle de musique et bouffe tout simplement mises dans la nouvelle catégorie «marc™ aime ça»; catégorie foutoir essentielle, sont les plus gros changements.
Hey, lis ça!
Autre ajout pratique, à la fin de chaque billet, une liste d’écrits que vous n’avez peut-être pas lus. Pour ceux qui me connaissent depuis peu, ça peut s’avérer pratique. Pour les autres, faites semblant de vous y intéresser. Ça ne vous fera pas mal, et à moi le plus grand plaisir.
Portfolio
Comme il y a que les cons qui ne changent pas d’avis, j’ai décidé de mettre en ligne un portfolio qui montre autant de vieilles productions que de nouvelles. Pourquoi m’être obstiné aussi longtemps à ne pas placer un avant? Pour de mauvaises raisons, j’avoue. Comme celle de vouloir être à tout prix différent. J’avais tenu pour acquis, à tort il faut croire, que tous les clients potentiels de proximité me connaissaient puisque je suis dans le milieu depuis plus de 25 ans maintenant. J’avoue avoir eu un plaisir à fouiller dans mes archives et qu’il y a des trucs créés depuis des lunes que je trouve encore très pertinents. Je tenterai d’en ajouter. Mais que valent mes promesses (rire) ?
Voilà. Ça fait le tour des nouveautés. En espérant, vous comptez parmi mes lecteurs… et clients!
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Chroniques sénégalaises 11 – La pluie
La saison des pluies a débuté plus tôt
Nos larmes ont créé un déluge à Thiaré
Notre chagrin était palpable
Celui des villageois, tout autant
Quitter se fait rarement dans la joie
Nous avons fêté notre arrivée
Comme nous avons célébré notre départ
Nos larmes du début ont fait place
À des larmes de résilience
À une fête triste
À travers les fenêtres du bus
Arame Faye était inconsolable
De nous voir partir, de les abandonner
Encore une fois
Partir c’est mourir pas juste un peu
Mama Fatou la fille de Boubacar
Devenue notre fille à tous
Enveloppée dans son mutisme
Nous a regardé s’envoler sans mots
Les larmes intérieures sont les plus tristes
Les «bonzour» et les «comment ti t’appelle»
Me manquent déjà
J’entends encore ces petites voix
Sens encore ces minuscules mains gercées
Vois toujours ces sourires lumineux
J’ai quitté le sable
Pour retrouver la neige
J’ai perdu la chaleur
Pour ressentir le froid
Si au moins je parlais de climat
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Chroniques sénégalaises 10 – Ataya
Ismaël souffle sur le charbon pour ranimer la braise. De gris mort il passe au rouge vif. Le feu ressuscite dans le réchaud. Ses grandes mains déchirent lentement la boîte libérant par la même occasion le sachet de thé, les feuilles tombant minutieusement dans la théière comme si chacune d’elle était comptée. Une seconde boîte est entamée et la moitié de son contenu rejoint l’appareil.La préparation du thé, ataya en wolof, est une cérémonie ou chaque action a son importance. Le temps étant son principal ingrédient. Il faut compter près d’une heure trente pour goûter aux trois services qu’elle comporte.
Ismaël verse l’eau dans la théière et commence l’infusion. Quand l’eau a bouilli, il ajoute deux verres de sucre blanc et deux sachets de sucre vanillé. Le premier thé est le plus fort et le plus sucré. Il se verse un petit fond pour goûter. Un son de satisfaction sort de sa bouche. Il peut commencer à mousser. D’un geste précis, il verse un premier thé dans un verre à une hauteur qui permet au liquide de rebondir et ainsi créer une écume dans celui-ci. D’un verre à l’autre, il transfère le liquide. Il répétera cette mécanique à plusieurs reprises, jusqu’à ce que la texture de la mousse soit comme il le désire et remet la boisson au complet dans la théière pour une infusion de finition. Tout au long du processus, il lave constamment l’assiette sur laquelle sont posés ses deux verres traditionnels et l’extérieur de ceux-ci. La propreté est un souci constant de l’ataya.
Ismaël verse deux verres qu’il nous tend. La boisson est chaude, très forte et très sucrée. J’adore. Quand tout le monde a bu dans le même verre, la préparation du deuxième thé peut commencer. La moitié de thé et de sucre sera versée dans la théière. Le deuxième service sera moins fort.
Assan, le bavard dit qu’Ismaël, le taciturne est le meilleur pour préparer le thé. Tous les jours, c’est lui qui le préparera pour tous ses amis, incluant nous. Élevé par un marabout, il a réussi à s’enfuir à dix-huit ans et ainsi se libérer de son emprise. En théorie, un marabout est un intermédiaire entre dieu et les hommes, en pratique ils sont souvent des charlatans qui prétendent avoir des pouvoirs magique et religieux. Ils profitent ainsi du titre respecté de marabout pour gagner rapidement et aisément de l’argent en arnaquant la foi de gens sans défense. Plusieurs familles comme les parents d’Ismaël donnent leurs enfants pour que le marabout se charge de leurs éducations. Ils sont ainsi battus et forcés à mendier sans jamais revoir leurs pères et mères. À la clinique, plusieurs de ces enfants ont consulté les infirmières en place, créant beaucoup d’émotions autour de nous. Les histoires de ses enfants sont souvent dramatiques et arrachent le cœur. Dans leurs yeux se lit une tristesse infinie qui s’est rapidement transmise à notre équipe. La misère est un virus qu’on partage facilement.
Quand Ismaël prépare le thé en silence, on pourrait penser que plusieurs souvenirs se bousculent dans sa tête. Des images qu’il ne pourra jamais oublier. Des cicatrices de vie. Comme celles retrouvées sur la peau de ses enfants, causées par des coups violents.
Le thé s’infuse tranquillement. Le dernier service auquel un demi sucre, mais aucun thé ne sera ajouté à une saveur plus amère. Peut-être pour rappeler à Ismaël ce passé pas très lointain où la vie était un poids beaucoup plus lourd que le temps.
Que la chaleur que ton thé de l’amitié provoque dans nos coeurs te soit remise au centuple, mon ami Ismaël. Tu le mérites bien.
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Chroniques sénégalaises 09 – Le mouton
Ce matin, Jean-Claude, Malick et moi sommes allés acheter le mouton pour vendredi. Ce sera notre souper d’adieu et tout le monde sera là. Bénévolesa, traducteurs et notre équipe seront une dernière fois réunis pour un repas de fête. Fête triste, vous en conviendrez. Personne n’a le goût de quitter. Oui, quelques-uns s’ennuient de leurs proches, mais anticipent quand même avec une certaine peine ce moment qui s’approche hélas, beaucoup trop rapidement.
Au village Mobo, à une douzaine de kilomètres de Thiaré, nous sommes donc allés au marché hebdomadaire, marchander notre bête. Encore une fois la présence de toubabs (blancs) ne laisse personne indifférent. Surtout deux blêmettes comme nous. Comme dans la plupart des marchés africains, les étales font dans l’anarchie organisée. S’empilent pèle-mêle de la nourriture, des vêtements et des épices. Quand on cherche un truc précis, on nous envoie d’un tapis à un autre sans nécessairement trouver. Notre nez hume des saveurs différentes et intéressantes comme il se bouche pour laisser respirer la bouche. Quand ça pue, le bouche c’est mieux pour respirer.
Passé le marché, les troupeaux sont là avec leurs maîtres, prêts à trouver preneurs. La présence de blancs, même s’ils ne font pas partie de la négo officielle devient un obstacle pour Malick. Blanc égale argent. Après une longue discussion, le choix s’est arrêté sur un gros bouc qui, malgré les 10 000 CFA d’excédent attribuable à notre couleur de peau, nous coûtera finalement quelques cent vingt dollars. Pas mal pour nourrir une cinquantaine de personnes. Les pattes ficelées, notre repas à barbichette s’est retrouvé dans le coffre arrière de notre Peugeot à haillon et fait la conversation avec nous tout le long du voyage.
Ça va bien?
Ça va.
Et la famille?
La famille va bien.
Alors tout va bien?
Tout va bien.
Ça va bien.
Très bien.
Jusqu’à vendredi.
S’il était nerveux, on peut en dire davantage de nous. Disons qu’il bougeait assez pour nous faire douter de la solidité de la corde. Dans l’ordre des choses, c’est nous qui devrions le manger, pas le contraire.
Ce repas sera pour nous comme célébrer la Tabaski en retard (on l’a fêté en novembre cette année). Cette fête est un moment fort de la vie religieuse et culturelle au Sénégal. Elle célèbre le geste d’Abraham, à qui Dieu avait ordonné de sacrifier son enfant. Au dernier moment, un beau bélier cornu lui est envoyé du paradis pour le rachat de son fils. Pour perpétuer ce geste, triomphe de la foi sur le doute et le scepticisme, on recommande, à ceux qui ont les moyens, d’ immoler une belle bête après une prière de deux Rakkas (génuflexion). La viande est mangée dans la famille et donnée aux nécessiteux. La recherche du mouton est une activité qui s’entreprend de nombreux jours avant la fête. Le hic, c’est que le prix du mouton s’enflamme pendant cette période, causant des maux de tête, mais surtout des ennuis financiers importants aux Sénégalais moins fortunés qui s’endettent pour s’en procurer un.
Arrivé à la clinique, notre mouton à été attaché près de la cuisine. Il se nourrira des pelures et des restes et dormira sous le citronnier. Il sera bien chouchouté. Comme au Club Med. Jusqu’à vendredi.
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Chroniques sénégalaises 08 – Le sable
Haaaa comme le sable a sablé
La vitre de mon iPad est un carré de sable
Haaaa comme le sable a sablé
Qu’est-ce que le spasme de tousser
Si la terre est composée de plus de 70% d’eau, le village de Thiaré, lui, est plutôt constitué de sable à 99%. Il est omniprésent. Les routes en sont composées, les maisons aussi. Y en a partout. Les quelques feuilles des arbres en sont couvertes. Les vents fréquents le soulèvent pour le pousser dans nos tentes. Nos valises en sont pleines. On en a jusque dans nos bobettes.
Avant hier, je me suis endormi à l’arrière du taxi qui me ramenait de Kaolack. J’avais laissé la fenêtre ouverte pour me permettre de respirer; résultat : je ressemblais à un touareg en vacances. En enlevant mes lunettes, j’avais des allures de raton-laveur jusqu’à ce que ma douche me libère de mon masque.
Ici, on balaie le sable comme si c’était un plancher. Accroupies avec leurs petits balais pas de manche, les femmes sassent le sable et extraient les feuilles ou les détritus qui s’accumulent toute la journée, créant de minis tempêtes autour de nous. Le plancher est propre, mais beaucoup moins nos tables et nos cheveux.
Nos nez et nos gorges sont durement mis à l’épreuve. Nos filtres naturels se bouchent. Nous toussons, mouchons, ce sable quotidien, tout comme nous crachons celui qui fait crissé nos dents. La saison sèche est ressentie jusque dans le fond de nos poumons. Il faut souvent choisir entre aérer notre tente ou endurer un peu de chaleur, car ouvrir les portes de celle-ci c’est s’assurer d’avoir à tout secouer avant de se coucher.
Samedi soir, nous avons eu droit à un party. Les griots sont descendus d’Ndofanne avec leurs djembés pour nous faire réaliser encore une fois que l’on danse aussi bien que des 2 x 4. Les villageois s’en sont donnés à cœur joie pour nous épater par leurs danses tout en riant de nos pas ridicules. La piste de danse a rapidement été surplombée d’un épais nuage de sable, nos lampes frontales créant des halos à travers cette brume opaque qui nous piquait les yeux.
Le sable a tout de même une vertu magnifique, celle de justifier nos larmes lors des événements difficiles.
En vrac
Piqué de ma lecture, Fatou Diome «Le ventre de l’Atlantique», cette phrase qui résume bien nos différences : En Afrique, je suivais le sillage du destin, fait de hasard et d’un espoir infini. En Europe, je marche dans le long tunnel de la performance qui conduit à des objectifs bien définis.
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Lors de ma dernière escapade a Dakar, J’ai eu le privilège de souper avec Malick, notre chef ici, et sa copine Ousso, étudiante en marketing à l’Université de Dakar. J’avais l’impression d’être un chaperon. Si le soleil avait des yeux et une bouche, c’est à Malick qu’il ferait songer.
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Dans un taxi dakarois, j’ai entendu quelques pubs à la radio. Une, du ministère des Transports, rappelait quelques consignes pour la conduite automobile. On suggérait des pauses de trente minutes à chaque deux heures de route. Mon aller-retour Thiaré/Dakar de dix heures aurait dû résulter à deux heures et demie de pause. Disons que nos chauffeurs n’ont pas dû entendre les consignes…
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Chroniques sénégalaises 07 – Le prix
Combien vaut une vie humaine?
Vous vous êtes déjà posés la question? Moi, ça m’obsède depuis que j’ai remis les pieds au Sénégal, il y a maintenant deux semaines. Ne me dites pas que la vie, ça ne se compte pas. Tout se compte. Tout est monnayable de nos jours. Même l’amour. Alors, s.v.p, donnez-moi un chiffre.
Si vous en êtes incapable, laissez-moi vous aider un peu dans vos calculs. Lors de notre première journée de clinique, un jeune homme s’est présenté avec un œil déformé de la grosseur d’une boule de billard. Après investigation, une simple morsure obtenue lors d’une dispute avec son jeune frère a dégénéré avec le temps. Par négligence, mais surtout par manque de moyens, ce stupide incident s’est transformé en tumeur cancéreuse. Prix pour l’opération à Dakar : 100$. Vous vous doutez bien que ce jeune homme et sa famille n’ont pas cette somme. Sans être devin, il est facile de prédire qu’à court terme, il perdra son œil et que cette tumeur ne s’arrêtera pas là. Conclusion, une centaine de dollars suffiraient pour que sa qualité de vie s’améliore. Cent stupides dollars. Une paire de jeans. Un plein d’essence. Un mois de cellulaire. Pour une vie. C’est simple comme calcul. Comme le fait Liam Neeson dans son interprétation d’Oskar Schindler dans le film de Spielberg sur sa fameuse liste, quand il réalise le nombre de juifs qu’il aurait pu encore sauver en regardant ses bagues et sa voiture qu’il avait conservées. Mais nous ne sommes pas devant un écran avec du popcorn, mais devant ce bonhomme avec un œil qui veut lui sortir de la tête.
Voici donc notre réalité, ici, à Thiaré.
Chaque jour, des pathologies bénignes, pour la plupart si faciles à guérir chez nous, se transforment lentement en malaises plus importants pour des centaines, voire des milliers de gens. Rarement pour des sommes astronomiques. Des médicaments à 10$, 20$, 50$. Des interventions chirurgicales du même prix. Dérisoire. Mais y a rien de drôle là-dedans. Rien.
Un étudiant me faisait remarquer qu’il avait perdu l’appétit quand il a réalisé que nos restes de table finissaient dans les assiettes de certains employés du dispensaire. Qu’il avait l’impression que de manger leur enlevait de la nourriture. Une infirmière a fondu en larme quand elle assisté à l’accouchement d’un mort-né causé par un manque de suivi de grossesse. Plusieurs de nous réalisent, chaque jour, que la vie est injuste. Nous réalisons que la vie à un prix, mais n’a finalement aucune valeur sauf celle qu’on lui accorde. Si je suis capable de payer les 100$ qui me permettrait de survivre, est-ce que ma vie vaut plus que quelqu’un incapable de le faire? Serais-je si important dans l’Histoire pour que moi, je puisse me faire opérer plutôt qu’Elage, Ousman ou Bâ. Ma vie a-t’-elle vraiment plus de valeur que la leur?
Oui la misère est mondiale. Des villages comme Thiaré, il en existe des milliers éparpillés sur le globe. Des villages ou la vie tient à rien ou si peu qu’on pourrait la sauver ou l’améliorer avec quelques moyens.
À plusieurs reprises, nous avons voulu nous cotiser pour payer une intervention ou médicament spécialisé, mais nous ne pourrons pas tout réglé et créer des attentes que l’on ne pourra pas toujours combler serait encore pire. Nous tentons du mieux que l’on peut de panser et ce que nous faisons est important, mais nous réalisons bien que c’est le minimum. Que notre retour à la maison laissera cette population comme elle était avant qu’on y foule les pieds. Que les sentiments d’impuissance et de résilience auxquels nous faisons face nous suivront encore longtemps dans notre confort.
C’est le prix à payer quand tu t’embarques dans ce genre d’aventures. Un prix difficile à évaluer. Le prix de la vie.
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Chroniques Sénégalaises 06 – Awa
Qui garde tes enfants quand tu travailles avec nous?
La question à paru surprendre Awa, mais elle m’a simplement répondu «la première», en parlant de l’autre femme de son mari. Elle, c’est la deuxième épouse.
Comme beaucoup de pays africains, la polygamie est fréquente au Sénégal et c’est d’ailleurs ici qu’on en compterait la plus grande proportion sur le continent. Plus qu’une coutume, elle est inscrite dans le Code de la famille. Dans les faits, l’article 133 dispose que le mariage peut être conclu : soit sous le régime de la polygamie (quatre épouses maximum), soit sous le régime de la limitation de la polygamie (deux ou trois épouses) ou sous le régime de la monogamie. Une femme ne peut être forcée à devenir une seconde épouse et si la première femme n’accepte pas une situation de polygamie, elle a le droit de demander le divorce. Tout cela étant bien théorique puisqu’en pratique cela s’avère plus difficile, surtout si la femme n’a pas de revenu garanti et dépend du-dit mari. Awa, comme une douzaine d’autres Sénégalais, est traductrice wolof/français et agit bénévolement dans le dispensaire comme interprète pour les patients ou les infirmiers.
Bien qu’elle soit née à Thiaré, elle n’y habite plus depuis plusieurs années, demeurant à une dizaine de kilomètres dans un autre village dont je n’ai pas osé demander une autre fois de répéter le nom. Ordinairement, elle travaille comme matrone, l’équivalent d’une sage-femme au Québec. C’est donc chez sa mère qu’elle habitera pendant toute la durée de notre mission, sa deuxième avec nous, laissant encore sa petite famille derrière elle. Sauf le petit dernier, son garçon Abdou, accroché a son sein pendant que je lui parle.
À voir ses yeux me regarder, je réalise bien que mes questions la rendent perplexe par leur simplicité. La notion de famille étant ici fort différente de la nôtre. Indissociable de la notion de partage. C’est pourquoi elle a certainement trouvé étrange que je lui demande si la présence de cette autre épouse la dérangeait. On a l’habitude de vivre ensemble, me dit-elle, sans arrières pensées. On s’occupe toutes les deux des enfants. Sans préciser mes ou ses. Ils sont du même père. Quand elle était petite, elle aussi, ses frères et sœurs avaient des mamans différentes. À ce niveau-là sommes-nous si différents avec nos familles reconstituées?
Vous savez bien que je lui ai demandé comment ça se passait, heuuu… je veux dire, quand vient le temps d’aller au lit, qui va où. Chacune dans sa chambre, c’est monsieur qui se déplace. Tout simplement. Selon ses humeurs et besoins. Je n’ai pas osé demander à Awa si l’adultère est moins fréquent chez les couples polygames, mais quand plus tard, j’en ai fait part à Malick, son grand sourire voulait en dire long. Au village, la polygamie est assez fréquente et peut devenir une piste de lors d’une consultation à la clinique. Une simple infection qui se transmet d’épouse en épouse via le mari. C’est un sujet auquel les étudiants et les infirmières en place doivent jongler et apprendre à poser les questions appropriés pour ne froisser personne.
On pourrait penser que la notion de polygamie est directement reliée à la religion, puisque le Sénégal est à 90% musulman et que le célibat des femmes est vécu comme une situation d’attente pour elle, mais il faudrait regarder un peu plus du côté économique et social pour comprendre un peu plus. Ainsi, à la campagne, avoir une famille nombreuse devient un avantage au niveau de la main d’œuvre pour travailler aux champs. Par contre, comme la solidarité familiale domine, il peut devenir difficile pour un enfant qui travaille à l’extérieur de subvenir à tous ses frères et sœurs quand ils sont en si grand nombre. Ce qui expliquerait qu’en période de ralentissement économique, cela se répercute sur cette coutume.
Et toi Awa, tu as combien d’enfants? Six. Six a moi. Onze en tout.