Le bunker.
Mon bureau ne ressemble pas à un bureau.
Un loft peut-être.
Un loft à l’envers. En désordre. Un peu malpropre, aussi.
Un carré à moitié illuminé.
Un carré sombre.
Un bureau qui me ressemble.
Sur un mur, une table à dessin encombrée où je ne dessine pas. Une belle pièce en bois, oeuvre d’un ébéniste et cadeau d’un client précieux, sur laquelle sont déposées des maquettes proposées-réalisées-facturées et d’autres refusées-non-facturées-néanmoins-pas-tant-désintéressantes-ou-pas-du-tout-c’est-selon, des livres, de la documentation dont je sais vraiment quoi faire.
Sur un autre mur, des bibliothèques métalliques pleines de livres et de magazines sur le graphisme que je ne consulte jamais. Depuis des années.
Au milieu, un bureau sur lequel est déposé mon ordinateur. Bureau encombré aussi. Les mouvements de ma souris tassant ce qui l’entoure. Des notes. Des papiers. Des livres – encore. Des crayons. Des fils reliés à rien. Des fils perdus. Sans sens. Y a même un lecteur CD. WoW. Technologie d’avant-garde.
J’ai aussi des speakers qui crachent une musique souvent trop forte.
Une chaise plus ou moins confortable. Dessous, un rond sur le plancher de bois. Dessiné par un frottement circulaire. Une chorégraphie d’ébéniste. Sabler le plancher à force de s’y frotter. Dans un cycle infini. C’est drôle. Incohérent. Moi, qui n’a pourtant pas l’impression de tourner en rond. Je le fais peut-être. Dites-le moi. SVP. On est souvent très mauvais juge de soi-même. Souvent. Trop.
Je suis entouré de fenêtres plutôt sales. Comme je ne peux palier à la négligence de mon propriétaire, alors je laisse aller. Ça me dédouane. Pas ma faute. Belle métaphore, non? L’idée de nettoyer les fenêtres de son coté, mais de ne pas mieux voir parce que la partie dont on ne contrôle rien n’est pas plus propre, c’est plutôt un clin d’œil à la société, non?
J’ai sur une charpente de bois – quelques deux par quatre maladroitement vissés qui me servent de chevalet, une toile inachevée montée sur un cadre. Qui demanderait à être recouverte d’une couche de gesso. Encore. Pour la deuxième fois. Mauvais peintre. Recouvrir ses erreurs. Recommencer. Encore. Artiste raté.
Sur le demi-mur ronronne un vieux frigo où s’entasse quelques bières et du vin. Et de temps en temps, un truc bleu qui pue qui a peut-être, jadis, un jour, ressemblé à un sandwich. Je ne sais pas. Je ne suis pas médecin légiste. Encore moins archéologue.
Y a aussi dans cette pièce deux causeuse rouges. Face à face. Imposantes. Importantes.
Mes amis surnomment mon bureau, le bunker.
Ça lui va bien comme nom je trouve.
Moi qui a toujours eu l’âme d’un soldat.
Pas celui qui va à la guerre, celui qui est on duty. Prêt.
On duty. On. Off. Prêt. On duty.
Y’a pas de traduction meilleure que ces deux mots. Je ne sais pas comment traduire ça. Dites-moi.
Le bunker, donc. Et ses causeuses. Où l’on cause.
Les clients. Les copains. Les deux.
J’ai toujours pensé que j’étais plus verbal qu’auditif. En vieillissant, je réalise que j’écoute plus qu’avant. D’ailleurs, je lis plus que j’écris. J’observe plus que je commente. On change. Et on a le droit de. Surtout.
Ces deux divans forcent la confidence.
C’est peut-être nos paradigmes qui nous forcent à se confier quand un divan fait face à un autre. Je n’ai pas l’âme d’un psy. Encore moi les connaissances. Seulement l’emplacement.
Ces deux divans.
Le bunker, ça lui va bien comme nom.
Ce côté square, mais créatif.
Anonyme.
Hermétique.
Cocon.
Papillon.
Pour moi.
Et ceux qui y passent.
Louis
18 février 2020 at 21:46 //
Notre bunker Marc. Nous sommes un peu responsable du désordre et des senteurs….une chance que les causeuses ne sont pas des stool….elles en ont entendu de toutes sortes. LE BUNKER, notre bunker xxx.
Anonyme
19 février 2020 at 7:46 //
Quel belle réflexion sur les effets de l’âge ! Ton bunker est propice à la création, à la réflexion, celui du cœur traduit ton cheminement, ta générosité . Merci pour ce beau texte Marc.