La rivière.
Aujourd’hui, la rivière était une glace.
Un miroir.
J’aurais pu prendre une position de yogi, sur la tête, et regarder le reflet de la montagne devant. Et, pour un instant, croire que l’eau était disparue, laissant place au ciel au-dessus de deux improbables cimes.
Il était très tôt, mais le soleil chauffait déjà la terrasse. Les deux pieds sur un coussin, le dos à 45 degrés. Le cou plié. Le nez dans un livre. Une position à se faire rabrouer par son chiro.
On pourrait faussement croire que l’absence de vie de la rivière était une résultante de cette belle journée qui commençait.
On pourrait.
Mais ça serait mal connaître la rivière Saguenay.
Chaque matin, depuis que j’habite devant, j’ai droit à un scénario différent. De nappe d’huile à des vagues agressives. Immobile, figée par la glace au mouvement subtile des banquises. La rivière est toujours là. À se recréer. À se redéfinir. À être quelquefois à l’opposé du temps: immuable sous le vent, déchainée sous le soleil.
Je la quitte calme, au crépuscule, sous des allures de carte postale, je me réveille dans la tourmente où le ciel et l’eau partagent la même furie.
Une toile vivante.
Imprévisible.
J’ai souvent l’impression d’être cette rivière.
De me lever dans la tempête, ébouriffée comme un chat tombé à l’eau, avec un nuage noir au-dessus de la tête. De me réveiller dans la plénitude. Une eau calme dans laquelle on voudrait entrer en créant le moins d’ondes possible. Un bonheur béat enfantin.
J’ai parfois le vague à l’âme.
Il y a des jours où l’épaisse brume m’empêche de voir la rive de l’autre côté.
Ces jours-là, l’eau me semble plus noire que jamais.
Impénétrable.
Du pétrole.
On pourrait y marcher.
S’y enliser.
Pourtant la veille, des kayaks sillonnaient la rivière. Sur cette eau bleue. Limpide. Où des oiseaux s’abreuvaient en plein vol sous l’absence de nuages.
Y a des jours où je vois la rivière comme si c’était la première fois.
Tiens, comme cette chute au printemps, apparue à la fonte des neiges, le long de la paroi rocheuse, de l’autre côté de la rive. Elle est disparue comme elle est apparue, sans faire de vagues, mais elle a accaparé mon regard et apporté un petit bonheur ces quelques matins, en sirotant un café.
Chaque jour est différent.
Sur l’eau, la routine n’existe pas.
C’est ce que je me dis chaque matin en me levant.
Tu es comment toi, la rivière, ce matin?
Moi, ça va.
Elle ne me répond pas.
Elle ne répond jamais.
Eau morte.
On forme un drôle de couple.
Moi, qui n’ai même pas le pied marin.
Un Pirate maboul.
Perché sur son balcon.
Mât de cocagne.
Aujourd’hui, la rivière était une glace.
Dans laquelle je me suis vu.
Les traits tirés de la nuit.
Les yeux à moitié ouverts ou à demi fermés.
Des vaguelettes sur mon visage.
Comme si la rivière passait dans mes veines.
À créer des remous.
Mais tout autant à pomper son jus au coeur.
Anonyme
15 août 2018 at 8:36 //
Riverain sur le bord de la Rivière Saguenay,je me reconnais bien ton texte sauf pour les cheveux ébouriffés ,car dans mon cas j’aimerais bien que ce soit toujours possible 😉