Le ton des mots
J’ai écrit ce courriel avec l’aplomb d’un avocat.
J’ai relu chaque phrase, en prenant le temps de changer un mot précisant mal ma pensée, en choisissant un autre pour le remplacer pour m’assurer que l’idée générale de mon propos soit respectée et encore plus précise.
Je l’ai gardé dans ma boîte de brouillons quelques jours.
Une boîte à bouillon. Parfaite pour mariner des mots. Ça leur donne du goût et une consistance. Ça permet de donner de la saveur à un texte. Une pertinence. Ajoutez une pincée de virgules et le tour est joué.
J’ai ressorti le courriel pour une dernière lecture. J’en ai profité pour ajouter quelques smiley pour m’assurer que les endroits dans le texte où mon discours était plus léger seraient perçus comme tels. C’est comme ajouter du rire en canne dans un sitcom. Hey, c’est le temps de rire si tu ne le savais pas. On n’est jamais trop prudent quand on écrit un texte important. Quand on veut éviter toutes mauvaises interprétations.
Relire son texte. Cliquer sur envoyer. Pioup. Courriel en route. Attendre la réponse.
Qui ne vient pas.
Au bout de quelques jours, j’appelle la personne auquel le courriel était destiné.
– Allo, tu vas bien? T’as reçu mon mail?
– Oui. J’ai décidé d’attendre une couple de jours avant de te répondre. Le temps de le digérer. Pour ne pas écrire sous le coup de l’émotion…
– Heu… On parle du même courriel? Celui de lundi?
– Ouais. Je savais pas trop quoi en penser.
En penser quoi?
Coudonc.
Cette missive était claire comme de l’eau de roche. Des mots choisis un à un, avec parcimonie. J’ai jardiné dans Le Larousse. Des phrases construites avec la précision d’un chirurgien. Des blagues faciles à comprendre, avec des petites binettes (comme l’OQLF veut qu’on écrive emoticon), pour savoir que ce petit bout de texte est mis là pour adoucir le ton du discours. Dans un ton déjà hyper molo.
Selon moi.
Faut croire qu’il était uniquement sans ambiguïté pour moi. Pas pour son destinataire.
En cette ère numérique où jamais mots ne se seront autant échangés: par courriel, texto, tweet et statuts Facebook, combien de mauvaises compréhensions, imbroglios créés à coup de mauvaise sémantique, intonation, ponctuation, syntaxe?
Toute cette littératie. Le niveau de celui qui écrit, de celui qui reçoit. Tous ces mots aux différentes significations, écrits sur le coup de la colère, ou celui de l’humour. Tous ces degrés de lecture où l’ironie est perçue comme une insulte, ou un compliment exprimé comme une gifle.
Tous ces mots qui se changent en maux.
Tu m’énerves. Ça peut dire que tu me tombes sur les nerfs. Ça peut aussi dire que tu me plais. Tout dépend du contexte.
Vous envoyez un courriel que vous considérez anodin et vous déclenchez une guerre nucléaire. Boum. L’effet papillon multiplié par 1000. Un mot mal placé et vous changez le rythme d’un échange. Guerre et paix. Guère et pet. Et voilà. Vous êtes dans la merde.
Quand tu t’adresses à une seule personne, ça peut aller. Surtout si tu la connais, car tu peux adapter le niveau du texte à celui du lecteur. Quand tu t’adresses à une foule, comme on le fait en pub, vous imaginez le nombre d’interprétations auxquels votre slogan ou campagne peut avoir? C’est fou. Et déroutant.
Vous voulez savoir comment s’est terminée mon histoire?
La personne ne me parle plus. Fin. Plus de nouvelles. Rien. Malgré mes explications directes, mon point de vue exprimé au téléphone. Rien n’a changé. Son point de vue est demeuré le même. Intrinsèque. Mon courriel est resté logé dans sa gorge. Incapable de le digérer. Intolérance à ma grammaire. Lettre morte. Oraison funèbre. Fin.
Les paroles s’envolent et les écrits restent.
Imaginez quand ils sont, en plus, mal compris.
Ça devient des restes d’écrits qui s’envolent sans paroles.
Frédéric Chiasson
7 septembre 2014 at 14:04 //
Ouf, c’est le genre d’incompréhensions qui arrivent tellement souvent en plus. Il y a le fait d’écrire un courriel qui peut laisser plusieurs sens. Il y a aussi le fait que lorsqu’on le lit, on ne remet jamais en question notre propre lecture.
Des fois, je me demande si le droit-au-but est mieux que l’enrobage humoristique. Ça laisse moins de liberté d’interprétation. De toute façon, quand vient le temps de parler de quelque chose de sensible, je préfère téléphoner.
Je trouve quand même assez incroyable que ta personne ne veuille plus te parler après ce courriel et tes explications au téléphone.
modotcom
7 septembre 2014 at 17:04 //
comme c’est dur l’écriture. en affaires, je me reproche de trop écrire et de ne plus me servir du téléphone. quelle erreur sale! toujours se servir du téléphone en premier. sauf si on veut laisser des traces. des traces. des traces. trois fois plutôt qu’une. en amour, en amitié, les choses importantes doivent être dites, parce que les choses graves lorsqu’écrites sont gravées et aggravées. quant aux médias sociaux, je me formalise moins de l’interprétation. vraiment. un laisser-aller total, une déresponsabilisation de mes propres propos, une légèreté, car j’y interviens futilement, sans grande conséquence personnelle. en attendant à la caisse de la coop de l’uqam ce lundi, un livre a attiré mon attention parmi les larousse et codes de grammaire : il portait sur la ponctuation – c’est dire comme une particule change tout.
enfin, l’écriture est un art et la lecture en est un autre.
lâche pas, j’aime tes mots.
marc™
7 septembre 2014 at 18:47 //
Tu vois Mo, je préfère encore de loin écrire. Parce que mes idées se forgent lentement. Avec l’écriture, je prends mon temps, je cerne mieux mon sujet qu’à brule-pourpoint, comme au téléphone.
L’écriture est un art et la lecture en est un autre. Tu le dis si bien 🙂
marc™
7 septembre 2014 at 18:48 //
C’est une longue histoire qui ne se résume pas en un courriel, un appel ou un billet… 🙂