Chroniques malaysiennes 05 – Cher colonel
Cher Colonel Sanders,
je t’écris cette lettre en sachant très bien que tu es enterré (on t’a même peut-être panné, qui sait…) quelque part dans l’état du Kentucky. Tout jeune, je t’ai vu à Chicoutimi, tu étais venu inaugurer un nouveau resto Poulet Frit à la Kentucky. C’était ton nom à l’époque. Avant de te cacher sous les lettres PFK. Ou KFC, partout ailleurs dans le monde. Je me souviens, tu étais débarqué à bord d’une longue limousine blanche. Tu ressemblais à deux gouttes d’eau à la tirelire à ton effigie que j’avais dans ma chambre.
Quand je pense à toi, j’ai de beaux souvenir en tête. Ces longues files en avant de ton resto, le jour de la fête des mères. Ces midis entre amis, quand j’étais au secondaire, pour pallier quand on nous servait de la bouette à la cafétéria de l’école. Et aussi, cette odeur que ton resto dégageait au début du quartier où mes parent avaient finalement acheté une maison.
De beaux souvenirs.
J’en ai aussi de moins bons.
Ce sentiment qu’après avoir ingurgité ta merde pannée, j’ai le goût de m’acheter un nouveau foie en Inde sur Ebay. La certitude que tu es responsable d’une grande partie de l’obésité morbide de tout un continent. Mais celle qui me frappe encore plus depuis que je suis en Malaisie : mais qu’est-ce que tu fais dans ce pays?
Ici, tu es partout. Partout.
Dans tous les aéroports, les centres-villes, les centres d’achats. Partout. Je ne t’ai pas croisé sur les Îles, mais je suis certain que tes emballages flottent quelque part sur la mer de Chine.
Tu fais quoi ici, bordel?
Tu es ici au confluent de trois grandes cultures gastronomiques: celles de l’Inde, de la Chine et de la Malaisie. On est à mille lieux de ta salade fluorescente, ta sauce brune douteuse et tes épices de merde qui camouflent uniquement le goût du gras de ton poulet.
Sors un peu de ton paradis de la graisse et suis-moi. Je te fais un tour guidé des alternatives culinaires de ce beau pays.
Pour commencer, pour déjeuner, tu pourrais essayer un Nasi Lemak. Ici tout le monde bouffe ça. Un riz cuit dans du lait de coco, aromatisé de piments, d’anchois frits, d’un œuf cuit dur et d’arachides. Enveloppé dans une feuille de bananier, tu as l’impression de recevoir un cadeau. Le prix? Ridicule. Et c’est vraiment bon. Et très nourrissant. Si tu es plus du type pain, vas-y pour le Roti Canai, une crêpe qui ressemble un peu à du pain naan indien. Un pain de farine avec du beurre ghee, cuit sur la plaque et servi avec un curry. Plus gras un petit peu, à peine, mais vraiment bon.
Si tu vas manger sur Jalan Olor à Kuala Lumpur, c’est facile à trouver – y a un de tes restos avec ta grosse face, juste à côté – tu te trouveras en plein cœur des hawkers de KL. Ici, tu auras l’embarras du choix. Tu pourras manger des palourdes au sambal olek, qui te font suer jusque dans le fond de la gorge. Si tu veux pas te salir les mains, tu peux préférer manger de la raie, avec la même sauce. Tu la détacheras doucement à la baguette et tu tempèreras le piment en mangeant du riz parfumé. C’est bon…. Surtout si tu manges la peau. Oui oui, comme ton poulet.
À Penang, tu pourrais profiter des pêcheurs qui débarquent soir et matin et opter pour manger des coquilles. Cuites à la vapeur rapidement avec rien d’autre, pas de sauce, rien. Elles sont crissement difficiles à ouvrir, je te l’accorde, mais quand tu réussis, c’est le bonheur. Ça goûte la mer, le sel, le frais. Si tu es du type plus aventurier, un colonel ça doit l’être, vas-y pour les bigots. Ces gros escargots cuits dans une sauce épaisse. Quand tu vas en commander tu les vois bouger, se gluer l’un sur l’autre, et 5 minutes après, ils sont dans ton assiette. Avec ta baguette, tu les pousses au complet dans ta bouche pour lécher la sauce, ensuite comme elle est propre, tu coince la coquille sur tes lèvres et tu aspires l’intérieur. C’est pas facile. La bête est récalcitrante. Et un peu caoutchouteuse. Mais voilà tout son charme. Dans le même registre, attaque-toi aux couteaux, les cuttlefish, tout aussi goûteux. Et tout ça pour le quart du prix d’une de tes merdes.
On continue dans le poisson, si tu veux bien, c’est mon dada. Si tu passes par Cameron Highland, il faut que tu débarques au resto Kougen. Le proprio porte un chandail écrit Canada. Il est adorable. Tu commandes, comme moi, des petits Shishamo. Ce sont des poissons qui ressemblent étrangement à nos éperlans, sauf qu’elles (!) sont enceintes. Les poissons ont le bedon plein d’oeufs, comme une farce. Tu les manges au complet. C’est délicieux. Et si tu fais comme moi et que tu laisses les têtes dans ton assiette, monsieur Canada va te dire : iou have tou eat ze head tou. Fais-le, il a raison. Tout est bon. Ici, à Kushing, laisse-toi tenter par une salade Umai. C’est ce que les mexicains appellent une ceviche, ce poisson cuit dans le jus de lime; mais ici, on y ajoute du concombre et des piments qui font pleurer des yeux.
Le poulet, tu connais? Ici on le frit aussi. Tout autant qu’on le cuit à la vapeur, au four, au tandoori, on le saute, flambe, laque, en soupe, en riz, en pâtes, en dumpling.
Si tu es plus du type bœuf, go pour le Redang, ce mélange indonésien d’épices et de lait de coco qui te transforme un rôti de palette en filet mignon. C’est épicé, certes, mais avant tout riche en saveurs. J’en ai même mangé dans une pizza, en regardant du foot. Avec trois ou quatre Tiger, la bière locale, tu ne t’ennuieras pas de ta salade de nouilles.
En parlant de nouilles… Faut vraiment que je te parles des plats de nouilles d’ici? En soupe, frites, ou sautées, avec légumes, poisson, œufs, poulet, name it. Tu peux manger différent chaque jour avec les mêmes ingrédients. T’as qu’à changer d’étales, de quartier. Ou de ville. Et les nouilles se réinventent. Pas certain pour tes recettes secrètes, mon colonel.
Alors, ça te dit? On va bouffer?
Tu vas voir, tu vas t’en lécher les doigts, mon Harland.
Et ça goûtera pas le suif.
modotcom
1 juillet 2014 at 13:39 //
merde, c’est l’heure du lunch. j’ai trop faim. envie de palourdes au sambal olek. magnifique menu dans ma palette, cher marc. merci de ce beau commentaire gastronomique.
Anonyme
1 juillet 2014 at 13:46 //
Wow! Tu nous fait saliver mmm! Merci de nous cuisiner tout ca! Un resto malaisien sur talbot juste à côté du bonhomme qui pue ca te tente ;)))