Bonne fête papa.
Automne 1988.
Dring.
– Oui, bonjour?
– Allo papa, c’est Marc.. tu vas bien?
– Oui, super bien. Et toi à Montréal, tout va pour le mieux?
– Heu… oui, oui, super. Maman est là?
– Non. Elle est partie avec Antoinette et Marie à Sorel pour la semaine.
– ….
– C’était important? Je peux faire de quoi?
– Non, ça va. Tout va bien… On se rappelle, bonne soirée.
– Bye fiston.
Clic.
Le lendemain soir, le téléphone sonne.
– Allo Marc, c’est maman, ton père m’a dit que tu avais appelé, qu’est-ce qui se passe? Tu as un problème?
– Ouais. Le magasin pour lequel je travaillais a flambé y a une semaine… J’ai plus de boulot, du moins pour trois semaines…
– T’as plus d’argent, c’est ça?
– Ouais… disons que je suis assez serré.
– Tu aurais pu le dire à ton père, tu sais… Il t’aurait envoyé de quoi.
– …
– Marc, tu aurais fait quoi si je ne t’avais pas appelé?
– Je me serais débrouillé…
– Tu sais que c’est lui qui m’a dit de t’appeler? Il savait que tu avais un problème… Il m’a même dit de te rappeler le plus vite possible. Il était inquiet.
– …
– Bon, je t’envoie de l’argent, ciao…
– Bye maman.
Clic.
Cet événement, si anodin, date de plus de 30 ans. Et j’y pense encore parfois. Comme ce soir.
Ce sera la fête des Pères, ce week-end. Et je pense au mien.
Oui, je sais. En plein le genre de fête qui m’énerve et que je dénonce. Les fêtes « obligatoires » où il faut dire je t’aime et acheter un cadeau inutile pour prouver son amour, au lieu de l’exprimer tous les jours. Ce genre de fête là. Je n’aime pas ces fêtes-là. Mais mon père nous a quitté, ma mère et moi depuis maintenant presque quatre ans. Alors, c’est ce qui me reste pour me souvenir. Alors je le prends. Quatre ans. C’est fou comme le temps passe vite. J’avais écrit 3 ans et en recalculant, je me suis rendu compte que j’oubliais une année. Incroyable, non?
Mon père et moi, on s’est connu trop tard. Beaucoup trop tard.
Nous étions comme des satellites autour de ma mère. Deux étoiles opposées. Mais en même temps, si près. Deux huitres renfermées sur elles-mêmes. Des êtres intérieurs. Des bombes à retardement.
J’ai passé les trente premières années de ma vie à fuir mon père. À fuir son jugement. À cacher ma différence. Il était le dominant. Et moi, le dominé. J’étais intellectuel, il était manuel. J’étais punk et il dansait en ligne. On était aux antipodes. Et j’étais incapable de lui tenir tête. Je pense que beaucoup de gars de mon âge ont connu cette difficulté de vivre une relation constructive avec leurs pères. Un fossé de génération. Un trou béant entre deux façons de penser tout à fait différentes.
Pourtant en vieillissant, je me suis rapproché de lui. On s’est rejoint. Quelque part au milieu de nos deux vies. Le temps arrange les choses. Il était encore grognon, mais je le trouvais drôle. Ces éclats d’humeur ne m’atteignaient plus autant qu’avant. J’avais eu le temps de me faire les dents ailleurs, dans ma propre vie.
Et surtout, papa, j’avais le sentiment que tu étais fier de moi.
Et ça, c’est ce qui m’a fait le plus grand bien.
Je me suis rendu compte, du haut, de ma quarantaine, que tu étais fier de voir le chemin que j’avais parcouru. Même si j’avais pris une route si différente de la tienne. Même si je ne réfléchissais pas de la même façon que toi. D’avoir cette reconnaissance. D’avoir ce regard approbateur du père. Un ti-cul restera toujours un ti-cul.
Et à côté de toi, je suis resté ce petit bonhomme.
Jusqu’à ce que je te vois dans ce lit d’hôpital, frêle, sans défense, intubé pour survivre. Je te regardais dormir, en me demandant à quoi tu pouvais penser. Qui sait, toi aussi, tu regrettais peut-être toutes ces années à passer à côté de l’essentiel. Ces années à se challenger au lieu de s’apprécier. Ces années à refuser d’accepter que malgré nous visions si différentes, on avait de l’affection l’un pour l’autre.
Tu sais, je suis pas mieux que toi. Je fais ce que je peux avec mes enfants. Je ne suis pas un papa «Caillou». Et fier de ne pas l’être. Je dis et fais des conneries. Et passe peut-être à côté de trucs essentiels, moi aussi. On dit que la pomme tombe rarement loin de l’arbre.
Mais comme toi, je suis fier de voir que mes mousses ont grandi en suivant leurs propres voies. En n’empruntant pas nécessairement la mienne.
On se souhaite bonne fête, papa?
Sarah tremblay
14 juin 2012 at 22:40 //
C’est tellement ÇA MArc. C’est BEAU!!!
Luc
14 juin 2012 at 22:41 //
Beau texte, touchant, parfait et qui porte à réfléchir sur son propre rapport au père… Chapeau!
Sarbour
15 juin 2012 at 0:45 //
Très beau texte Marc…
Joane
15 juin 2012 at 3:12 //
Moi aussi j’ai perdu mon papa, mais en décembre dernier…
Moi aussi j’ai vécu de longues années à fuir son jugement, pour finalement me rapprocher de lui, si semblable à moi sur différents aspects mais surtout si fière de sa fille…
Un vrai « bon » papa quoi…
Merci Marc pour ce texte !
maude
17 juin 2012 at 9:51 //
MaRC jE PLEURE MAIS JE TE FÉLICITE POUR TON TEXTE SI VRAI
TON PÈREAVAIT DE B ELLES QUALITÉS …. MAIS IL POSSÉDAIT LA
VÉRITÉ QUE CET ÉCRIT PERMETTE A DES PAPAS DE CETTE GENÉRTION DE FAIRE LA LUMIÈRE SUR NOS DIFFÉRENCES AVRC LEURS ENFANTS
TU ES UN PTIT MAIS UN GRAND HOMME JE TÀIME BEAUCOUP POUR TA
SINCÉRITÉ ET TA JOIE DE VIVRE MÊME SI TU NE DANSE PAS EN LIGNE
NOUS ON EST SUR FACEBOOK ON PRENDRA UNE BIÈRE CET ÉTÉ AVEC
TA MÈRE ET EVELYN XXXXXXXXX
Françoise
23 juin 2012 at 23:42 //
Très beau texte. Vraiment touchant.
Bye
Françoise
Nicole
17 juin 2014 at 12:53 //
Ton texte nous replonge automatiquement dans notrre jeunesse ,on devrait commencer par etre vieux avant d etre jeune ainsi on perdrait moins de beaux moments que la vie nous offre ,par notre manque d experience .Merci Marc .Bonne fete des peres en retard