Bon à tirer*
Dans mon billet précédent, je faisais allusion à deux textes portant sur le même sujet et illustrés avec la même image. Deux billets écrits à quelque 1000 jours d’intervalle. C’est cocasse de réaliser que même si les deux textes racontent ma hantise des présentations aux clients, ou pitch pour utiliser le jargon du métier, ils se complètent parfaitement. L’un racontant l’avant alors que le second s’attarde plus au moment présent de la présentation. Les voici, en rafale…
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Version 2011
Bon à tirer*
Mes maquettes sont déposées sur mes genoux. Mon cul repose sur une chaise droite sans confort devant le bureau de la réceptionniste. À ma droite, le magazine l’Actualité, des Sélections du Reader’s Digest et quelques revues spécialisées copulent les unes sur les autres dans l’indifférence la plus totale, créant en se superposant, des titres surréalistes comme « En période de RÉER, visitez la Gaspésie », « 10 capris, pour mieux gérer son portefeuille », « Châtelaine des Affaires », « Semez tôt pour une peau en santé ». Je n’invente rien, ils sont là à me crier leurs absurdités. Je regarde ma montre. Je suis définitivement arrivé trop tôt. Moi et ma peur d’arriver en retard. Tellement tôt que je suis là à me morfondre à créer des slogans à partir de coupures de magazines. La réceptionniste jette quelques coups d’oeil vers moi quand elle n’a pas le nez rivé à son écran. Elle semble se demander ce que j’ai à regarder ces revues sans les prendre dans mes mains. Ou s’interroger si mes cheveux sont toujours comme ça à se battre sur ma tête. Je délire. Elle est simplement concentrée à taper sur son clavier. Le son m’impressionne. Moi qui ne tape qu’à deux doigts. Ce concert de touches rapides m’émeut. Je suis définitivement arrivé trop tôt et ma nervosité me rend gaga. Pourtant dans quelques minutes, je vais regretter ce moment de plénitude que je vis présentement. Comme ces soldats au jour J, se plaignant de l’humidité de la mer, alors que la Normandie était à quelques noeuds.
Je dois rester concentré. Je serai bientôt appelé. Appelé à aller au front.
Je déteste ces présentations. Où il faut parader avec nos maquettes. Expliquer notre démarche. Ventiler notre budget. Vendre.
Je sais, ces présentations font partie de mon métier. Et c’est aussi un thrill de « pitcher ». De se battre. De débattre. Y a un côté grisant à faire ça, mais je suis pas toujours à l’aise de.
Je suis un gars d’idées. De plein d’idées. Mais je dois y réfléchir. Oui, je suis capable de vous en garrocher des idées, comme ça à la volée, mais je ne pourrai vous les pousser de force si je ne suis pas convaincu. Et pour l’être, je dois y penser plus d’une fois. Foglia, dans une chronique expliquait comment il était mauvais en débat direct, qu’il refusait dorénavant d’y participer. Parce qu’il avait besoin de temps pour clarifier ses idées. Je suis comme ça aussi. Et comme je n’ai pas l’âme d’un vendeur, mes présentations peuvent sembler un peu plates. Les mots se bousculent dans ma bouche. Je perds le fil de la discussion. Y a une tempête qui se déroule dans ma tête. Ça explique peut-être les cheveux. J’y peux rien. Quand j’étais plus jeune, je ne dormais pas des jours avant mes exposés oraux. Je gaspillais des semaines de recherche en vomissant un travail de rédaction de 50 pages en moins de 5 minutes. Sans respirer. En transpirant. Les grandes gueules comme moi sont souvent de grands timides qui, en se servant d’humour, arrivent à s’en sortir. Pendant que la bombe intérieure est prête à exploser, y a que la moiteur des mains qui en dénote la présence.
J’ai appris avec le temps que pour passer cette difficile épreuve, je dois avoir des maquettes sans failles. Des idées percutantes qui devront débattre seules. Sinon, mon apathie ne peut que leur nuire. Sur un dossier remporté dernièrement, l’une des responsables me faisait la remarque que ma présentation n’était pas la meilleure parmi tous mes concurrents, mais que mon document de présentation était fort, ce qui avait sauvé la mise. Allez, faites-vous plaisir tout en me faisant souffrir et invitez-moi à pitcher…
* Bon à tirer : En imprimerie, la dernière étape avant l’impression : on effectue une simulation de l’impression d’après les éléments finalisés. Vieux terme oublié, mais qui faisait un beau titre!
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Version 2009
Feu.
(originalement écrit le 27 janvier 2009 – pour voir l’original et ses commentaires, cliquez ici)
Vous entrez dans la pièce. On vous attendait. On vous a d’ailleurs réservé la place du milieu, juste en avant, devant tout le monde : le « hot spot ». Il y a peu de chance d’y trouver une chaise. Si oui, elle sera normalement peu confortable et plus basse que celles des gens qui vous font face. C’est psychologique. Il fait normalement froid dans la pièce. Mais ce n’est qu’une illusion, vous êtes le seul à avoir froid. Les gens qui vous regardent vous installer font seulement semblant d’être de glace : c’est normal, c’est leur rôle d’être comme ça. Ce n’est surtout pas le temps pour eux de montrer des sentiments, de montrer un signe de sympathie. Vous vous préparez tranquillement, placez vos documents devant vous et en distribuez à vos protagonistes. Avant même d’en juger le contenu, vous sentez leurs yeux sur vous, c’est présentement le messager qui les intrigue et non le message. Il ne faut surtout pas que vous vous laissiez impressionner par ces regards, ne pas vous laisser distraire, sinon cela pourrait tourner au cauchemar. Mais c’est plus fort que vous. Vous avez déjà les yeux qui se promènent sur chacune des personnes, vous êtes en train de les analyser un par un. Vous êtes tranquillement en train de mettre ces gens dans des cases. Vous leur attribuez déjà des personnalités, vous imaginez une hiérarchie. Même si c’est la pire chose à faire présentement, c’est plus fort que vous. Pire que les idées que vous vous mettez dans la tête, vous allez imaginer maintenant ce qu’il pense de vous, avant même de vous avoir entendu. Parmi toutes les personnes présentes, une seule est différente : son sourire, sa compassion la distingue totalement. C’est le lien entre vous et les autres. Cette personne fait les présentations d’usage. Elle en profite même pour brosser un portrait assez élogieux de votre personne, de votre travail. Sous le regard impassible du reste du groupe, bien sûr. Ça y est, c’est à votre tour. Vous pensez que ce serait normalement le temps de vous lever, mais vous êtes déjà debout. Alors, vous commencez. Vous êtes dans votre zone de confort, ce n’est pas votre première présentation, et votre introduction n’est pas nouvelle, vous avez déjà eu le temps de la peaufiner avec le temps. Le regard sommaire que vous posez sur l’audience vous donne raison : tout baigne! Alors, vous décidez de passer à l’étape deux. Vous plongez. C’est ici que les regards de vos spectateurs commenceront à changer : certains s’éclaireront, d’autres, par contre, s’éteindront. Vous sentez par contre qu’il y peu ou pas de gens avec cette deuxième réaction. C’est cool. Vous êtes tranquillement en train d’avoir moins froid, mais c’est encore un feeling, c’est uniquement le courant qui passe : votre présence semble appréciée. Vous respirez mieux. Même si les seules réactions que vous avez décelées sont pure intuition et spéculation. La période de questions commence. C’est la fin du monologue. Et du discours maîtrisé. Vous tombez dans une zone non contrôlée. Les premières questions sont faciles, le message a bien passé. On vous a trouvé peu de failles. Jusqu’à ce que, de nulle part, arrive cette question qui n’en a pas tout à fait la forme, puisqu’elle ne possède pas une forme interrogative : c’est un piège. On vous tend un piège. Et vous tombez presque dedans, tellement votre réaction n’est pas directe. On vous a déstabilisé. Vous devez improviser au plus vite, ramener le discours, ce n’est pas le temps de flancher. Garder la ligne. Ne pas rougir. Ne surtout pas être sur la défensive. Garder la ligne. Mais cette petite faille, rien de majeur, ce minuscule détail, que personne n’aurait pu remarquer est en train de bouleverser votre présentation. Du moins, nuire à la pertinence de votre discours. Et vous savez que ce n’est pas tant ce détail, mais bien la façon dont vous réagissez qui vous cale. Mais il est déjà trop tard pour la balayer du revers de la main, cette réaction doit se faire dans les secondes après la question. Votre réaction tardive ne fait que donner du mordant au problème. Vous réussissez bien que mal à revenir, avec effort, à reprendre le contrôle de la situation. Vous savez que vous avez perdu quelques plumes, mais dans l’ensemble les dommages semblent minimes. La personne qui vous a tendu le piège semble assez fière d’elle. Elle a eu avantage sur vous. Vous lui en voulez, mais cela fait partie du jeu. Et de toute façon, vous n’avez que vous à blâmer, ou du moins votre réaction. Les questions sont terminées. La présentation aussi. Cela s’est bien passé, du moins c’est ce que vous pensez, ou ce que vous voulez croire. En diminuant l’impact de votre dérapage. Après avoir salué tout le monde, en quittant la pièce, le doute subsiste, vous angoisse. Mais c’est trop tard. Ce n’est plus à vous de jouer. En tout cas, plus en direct. Uniquement ce que vous aurez laissé comme impression. Des mots. Des images. Une personnalité. Un feeling. Des perceptions. Et un simple petit détail dont vous n’êtes pas encore capable de mesurer l’impact.
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