Design Vs Marketing
Au début des années 1990 était publiée, une publicité irrévérencieuse dans le très sérieux Wall Street Journal qui disait ceci : « Comment deux hommes avec des études en arts graphiques peuvent faire plus pour votre entreprise qu’une salle pleine de MBA » (traduction libre). Impertinente dans le titre autant que dans son contenu, la pub réalisée par le mythique designer Joe Duffy alors récemment associé au Michael Peters Group (mais dissocié depuis…), vantait le mérite du design en opposition au marketing. « … Avec un simple crayon, nous pouvons apporter des solutions à des problèmes que vos plus brillants MBA ne pourraient résoudre avec une craie ». Créativité vs Chiffres. Design vs Marketing. Baveux, je vous dis. Mais encore aujourd’hui tellement juste.
Je suis toujours surpris du débalancement anormale du design par rapport au marketing que commettent les entreprises d’ici quant au développement de produits. On passe des mois, voire des années à développer un nouveau produit et on laisse des miettes aux créateurs qui le feront vivre sur les tablettes. Que ce soit au niveau du design même de l’objet ou de son emballage, ou de son interface client. La plupart des entreprises laissent entrer en scène, les spécialistes que nous sommes, nous designers (graphiques/industriels/,etc.) beaucoup trop tard et avec souvent trop peu de ressources. Trop tard pour apporter des ajustements importants au produit même quant à sa création initiale. Trop tard surtout pour être au parfum des besoins que peut combler ce produit. On a calculé le coût de revient, de fabrication, de distribution, etc. Mais on a laissé pour compte l’élément le plus essentiel à la fin : le sex-appeal, l’attirance que ce produit déclenchera sur celui ou celle à qui il est destiné. C’est fou, non?
On accorde, encore aujourd’hui beaucoup d’importance aux chiffres, aux sondages et aux focus groups, laissant de côté l’intangible, le déclic, le coup de foudre que provoque un produit attractif. Steve Jobs disait dans une entrevue : « C’est difficile de créer des produits à partir de focus group. La plupart du temps, les gens ne savent pas ce qu’ils veulent avant qu’on leur montre… ». Ainsi, si Apple avait arrêté son développement de produits à ce que le consommateur moyen exigeait, nous n’aurions pas en mains l’iPhone, iPad et autres produits d’avant-garde. Pour en ajouter sur la Pomme et son mode de fonctionnement, on gratifie énormément Jobs, mais il ne faut surtout pas oublier Jonathan Ive, le vice-président senior du Design d’Apple. On dit que Jobs a rêvé du iPhone, mais que c’est Ive qui l’a créé. Apple a toujours eu des designers sur son Board of Directors, contrairement à ces compétiteurs, mettant le design à l’avant-plan de son processus de développement de produits et non comme une simple étape avant la commercialisation. La forme suivant la fonction. En donnant autant d’importance à la créativité qu’aux chiffres, Apple a su dépasser ses concurrents qui continuaient d’enligner de faibles copies, préférant suivre la parade au lieu de la créer.
Omnubilé par le rendement à court terme, une entreprise prend la mauvaise décision en coupant sur le développement même de son produit. Au lieu de faire de la veille sur les réseaux sociaux pour lire ce que les gens disent de mal sur nous, on devrait prendre ces mêmes moyens pour s’améliorer. Plus logique. Vous avez beau, avec vos beaux slogans et vos belles pubs, dire à vos clients que votre produit est le plus beau et le plus génial, s’il ne l’est pas, c’est peine perdue. Il y a une quinzaine d’années, j’ai travaillé (avec l’agence auquel j’étais associé) au design d’un emballage de bière : nom, étiquette, caisse, affiches, pub, etc. Notre cible : les jeunes de 18 à 24; notre mandat : créer un brand éclaté qui sortait de l’ordinaire. Tout ça, c’était bien beau et nous avions réussi notre mandat… à moitié, puisque le produit n’a jamais levé. Le design du produit avait reçu un prix national, il plaisait au public-cible auquel il était destiné, mais les jeunes boudaient quand même cette bière : trop chère, trop goûteuse et d’une production inégale. On nous avait fait plancher sur un produit qui s’avérait totalement différent de celui qu’on nous avait promis. Nous étions intervenus trop tard dans le processus sans pouvoir dire au client que son produit ne répondrait pas aux attentes créées. Que ce design « jeune » demandé ne collait pas au goût de la bière. Qu’aucune mise en marché, distribution et publicité ne pouvait maintenant pallier à ça. Le design d’un produit ne s’arrête pas à son look. Travailler son produit est plus payant que n’importe quel pub.
Plus facile d’être aimé quand on est aimable, sinon ça demeure du toc, de faux sentiments facilement remplaçables. Créativité vs Chiffre. Passion vs routine. Design vs Marketing.
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