La saveur du moi.
Y a ce panier d’épicerie qui trône au beau milieu du stationnement d’un super marché. Abandonné, à deux pas de l’enclos où l’on doit le placer avec les autres.
Y a cette voiture stationnée entre deux places, les roues dépassant la ligne délimitant l’emplacement suggéré. Privant ainsi quelqu’un d’autre de se stationner.
Y a ce passage à piétons au milieu d’une rue commerçante où tu peux attendre 10 minutes avant que l’on s’arrête pour vous laisser traverser la rue, même si vous êtes dans votre plein droit. Et ça, c’est quand on ne vous accélère pas dans la face pour s’assurer que vous ne passerez jamais.
Y a ce passager d’un transport en commun qui, le cul assis, laisse cette vieille dame debout avec ses sacs. Ou l’autre bien campé sur sa position qui regarde nonchalamment, sans gêne, cette femme enceinte à bout de souffle, le bras accroché à la poutre, qui tente de prendre le moins de place possible tout en gardant son équilibre dans ce véhicule en marche.
Y a ce couple qui passe devant tout le monde dans une file où attendent docilement des centaines de personnes. Laissant aux autres cette pénible attente.
Y a ceux qui prennent. Sans jamais ne rien laisser. À qui tout est dû. Sans penser aux autres. Moi, moi, moi.
Y a ceux qui ne parlent que d’eux. Qui ont des problèmes pires que les autres. Qui ont la vie supérieure. Au-dessus de tous. Que la vie des autres n’intéresse pas.
Et je vous épargne ceux qui jettent leurs ordures sur le bord des routes. Ceux qui écrasent les pieds des autres dans une foule. Ceux qui bousculent. Ceux qui arrosent les gens sur le bord de la route. Ceux qui klaxonnent à se fouler le poignet, la hargne au front. Ceux qui sont incapables de laisser passer une ambulance en urgence. Ceux qui jugent qu’il faut penser à soi avant les autres.
La saveur du moi.
On ramène tout à soi. On a le moi surdéveloppé. On se surestime. JE. J majuscule. Les autres? OK. Ils sont importants. Mais seulement et seulement si, MOI, je suis. Je passe avant. Comme dans la scène du film « La vie est belle », quand le personnage campé par Roberto Benigni demande au gradé SS avec qui il échangeait des devinettes s’il pouvait l’aider à sauver sa famille de la folie allemande, mais que celui-ci étant plus préoccupé par une énigme irrésolue, sollicitait plutôt son aide. Moi. Mon problème. Pas le tien. Ni toi. Moi. Nous vivons dans une société centrée sur l’individu. Le collectif est le dernier de nos soucis. Je vs Nous. Les règles élémentaires du civisme sont bafouées chaque jour. Je ne parle pas ici de vandalisme extrême ou de contre-la-loi, non, mais de gestes simples qui respectent des autres. Je parle d’entraide, de compréhension, d’empathie et de savoir-vivre. De vivre en société.
En pub, on s’adresse toujours à vous de façon directe. Vous êtes notre unique cible. On vous séduit à grand renfort de slogans flatteurs. Et ça fonctionne. Puisque vous êtes notre point d’intérêt, vous êtes entièrement captivés. On s’intéresse à vous. Vous aimez ça. Comme le corbeau dans la fable de Lafontaine. Vous lâchez prise devant tant d’attention.
Jamais on n’aura été si près des gens grâce aux médias sociaux. Si près, mais en même temps si loin. Nous sommes dans une ère de communication active, supersonique. Un événement malheureux se produit, nous sommes au courant instantanément, à relayer l’info sur nos réseaux respectifs. Nous partageons nos coups de coeur, comme nos coups de gueule. Nous dénonçons les atrocités du monde, les guerres, les famines, les injustices à un rythme effréné. Bien assis, au chaud devant notre ordinateur. Nous avons le poing fermé dénonciateur au dessus de notre tête, et nous avons simultanément l’autre main sur la souris. À grands coups de changement de statut. Nous avons tellement à dire. À raconter. Nos vies sont tellement importantes. Que nous oublions trop souvent que d’autres ont des vies aussi. Qu’autour de notre nombril, y a du monde. Obnubilé par notre propre petite existence. Pendant qu’on s’impatiente dans un bouchon de circulation causé par une collision, on capote sur notre retard alors qu’à peine 300 mètres de là, des gens luttent peut-être pour leur survie. 10 minutes plus pesantes qu’une vie?
Ne me parlez pas de grands projets de société ou de monde meilleur, quand on n’est même pas capable de tenir une porte à un étranger, laisser passer quelqu’un qui a une urgence ou ranger son propre panier d’épicerie. Le minimum qu’une société peut exiger de ses citoyens est de réaliser qu’ils ne sont pas seuls.
henriette gagnon
7 août 2011 at 15:59 //
Marc,
Tu m’enlèves bien des mots de la bouche… Si ça pouvait contribuer à éveiller la conscience «trop populaire» et ainsi soulager un temps soit peu tous ces maux! Permets-moi de partager.
Merci
Henriette
Martin Larose
7 août 2011 at 20:04 //
…tu sais Marc, les «médias sociaux» n’ont rien de social…car nous sommes tous seuls devant l’écran avec la possibilité de «désamiser» quiconque ne nous plait pas. C’est la pulvérisation de la communauté. 1 million d’écrans comme 1 million d’îles…
Y’a des chansons qui rassemblent plus que FB…
Marc Pearson
8 août 2011 at 19:32 //
MOI qui croyait être le seul à faire ces constatations sur le manque de savoir-vivre des être humains. La plupart du monde se comporte comme s’il vivait seul sur la planète. C’est triste ! Posez un geste de courtoisie pour les autres est tellement agréable …
Réjean B.
9 août 2011 at 0:24 //
Ça ne prendrait que de si petites choses pour faire un monde meilleur …
Martin Larose
9 août 2011 at 8:48 //
En fait…j’oubliais…
C’est tellement devenu paradoxal que lorsqu’on démontre du savoir-vivre et de l’empathie, ne serait-ce qu’en tenant ou en ouvrant la porte à quelqu’un(e) qu’on précède, soit on n’obtiendra aucun remerciement, soit on se fera répondre «Je suis capable de l’ouvrir seul(e) la porte!» ou pire encore, ce sera perçu comme des avances…
Je crois que c’est un symptôme d’une société/génération qui n’a pas souffert beaucoup…
France Tremblay
21 août 2011 at 10:51 //
Mal généralisé de notre époque en fait, et tellement désolant!
Je crois cependant que c’est encore plus vrai dans la ‘grande ville’ (i.e. Montréal) et que le ‘moi’ est tout même plus ouvert aux autres ‘moi’ au Saguenay ou dans tout autre endroit à l’extérieur de Montréal, en fait.
Enfin, c’est l’impression que j’ai lorsque je reviens au Saguenay!
D’où mes démarches pour revenir dans ma région pour de bon… : ))
Ces démarches m’ont d’ailleurs amené à la découverte de ton blogue, Marc. Merci très sincère. Très inspirant, inspiré et touchant!
Et ce fut une belle façon de te revoir virtuellement!