Boris et Sonya dans les Adirondacks
J’allais vous raconter mon long week-end à New York. J’allais vous dépeindre le visage radieux de ma fille qui, après 130 essais de robe chez Macy’s, mettait la main sur celle dont elle rêvait pour son bal de graduation en juin. J’allais vous décrire en détail le style tout personnel de ce petit bout de femme devenue si grande sur ses talons de 4 pouces. J’allais vous raconter tout ça avec humour et amour, mais cette pluie qui s’est rapidement transformée en neige est venue gâcher tout ça. J’allais vous raconter que l’on a patiné en plein coeur de Central Park, sous les lumières des gratte-ciels, sur cette glace offerte par le richissime Trump. Moi qui n’avais pas chaussé de patins depuis des années. J’allais vous dire comment c’était beau de voir toutes ces lumières autour de nous, mais cette neige abondante est venue bouleverser mon récit et rendue futile ces coups de patin sur la glace.
J’allais vous parler de ce restaurant italien découvert grâce à urbanspoon.com, vous décrire cette pizza venue directement de Napoli, dégustée près du foyer, sous les bouquets d’origan qui séchaient près du bar. Et cette pluie verglaçante est venu tout foutre ça en l’air en me laissant un goût plutôt amer.
Cette satanée pluie qui ne nous a pas lâché dès notre départ de New York pour se changer en neige au milieu des Adirondacks. Cette neige qui a transformé la chaussée en une patinoire plus glissante que celle de Central Park. Cette neige qui a surtout fait déraper la voiture de Boris et Sonya Begelman, transformant ce long simple week-end en aventure humaine.
C’est en plein coeur des Adirondacks, ce parc si semblable à celui de la Réserve faunique des Laurentides, que l’automobile de Boris et Sonya a été emboutie avec une malchance inouïe par celle de leur fille qui les suivait. Le choc fut brutal; sûrement pas attachés, Boris et Sonya ont passé à travers le pare-brise de leur voiture. Quand nous sommes arrivés sur les lieux de l’accident, nous étions les premiers, Karine et moi. J’ai débarqué rapidement de la voiture pour m’enquérir de l’état des occupants. Le gendre, en sang, debout, cellulaire en main, tentait d’appeler le 9-1-1 pendant que ses mains tremblaient sous le choc et le froid. Aussitôt que j’ai aperçu Boris gisant sur la chaussée, j’ai crié à Karine, ma conjointe infirmière de venir me joindre. C’est elle qui prendrait les choses en main en attendant les ambulanciers. Le policier arrivé sur place 2 minutes après nous ne semblait pas du tout à l’aise dans son rôle improvisé d’ambulancier et semblait tellement apprécier notre présence qu’il a laissé Karine mener complètement les mesures d’urgence. Pendant qu’elle s’occupait de Boris, j’ai couru chercher les couvertures que les enfants avaient apportées, pour dormir durant cette longue route, afin d’en couvrir les blessés. Plaies béantes, hémorragie interne, fracture ouverte, Boris avait les jambes toutes croches et ne ressentait surtout plus aucune sensation dans celles-ci. Pendant les manoeuvres plus délicates de Karine, je m’assurais de garder son attention. Stay with us, Boris, help is coming. En fait si je veux être honnête, je l’appelais Morris. Et toutes les fois, il me rappelait qu’il s’appelait plutôt Boris. C’est fou comme ces petits détails deviennent importants. Alors que je me foutais carrément de son nom, mais pas de sa survie, Boris s’accrochait à son nom. Comme à une bouée. Le père de Karine, Jean-Claude, venu prêter main-forte à notre équipe a suivi les consignes de sa fille à la lettre, pressant les plaies préalablement pansées. Quand nous sommes revenus à la voiture, alors que les ambulanciers avaient pris la relève, on avait les cheveux tout mouillés, les vêtements trempés, les mains gelées, mais un sentiment du devoir accompli. Nous avions les émotions à fleurs de peau.
Je voulais vous parler du visage radieux de ma fille qui a acheté sa robe de graduation à New York, mais je vous décrirai plutôt la fierté et l’admiration qu’elle a ressenties quand elle a pu observer cette manoeuvre d’urgence réalisée sous ses yeux. Constater notre simple devoir de citoyen. Moi, ce sont les yeux de Boris que j’ai en tête, pendant que je lui tenais les mains pour le réchauffer pendant que cette foutue neige transformée en eau lui enlevait toute chaleur. Je m’en fous que tu t’appellais Boris ou Morris, je souhaite seulement que l’on n’ait pas tout fait ça pour rien…
MISE À JOUR >
J’ai fouillé sur internet une bonne partie de la soirée à la recherche de nouvelles afin de connaître l’état de santé des gens que nous avions aidés. Je suis tombé sur un article du Adirondack Daily Enterprise relatant un accident survenu dans le parc, quelques heures avant notre passage. J’ai contacté le journaliste auteur de l’article, Chris Knight pour lui demander s’il en savait un peu plus sur l’accident dont nous avions été témoin. Hélas, après quelques échanges de courriels, il n’avait aucune information supplémentaire à me fournir… jusqu’à ce matin. Il m’a fait parvenir un courriel avec un lien menant au journal Press Republican qui relatait un accident semblable à ma description avec les mêmes prénoms. Pas de doute, c’était notre tragédie!
En relisant l’article, je me suis rendu compte que j’avais réalisé quelques erreurs de description dans mon billet. Voici donc un résumé de ce qui s’est véritablement passé : en provenance de Brooklyn, Igor Begelman, accompagnés de ses deux enfants a perdu le contrôle de son automobile percutant la barrière d’accotement. Boris et Sonya Gelman voyant la situation ont stationné leur voiture derrière pour évaluer les dégâts. Au même moment, sur la même route, Kseniya Vasilyen perdit le contrôle, elle aussi, et percuta les deux voitures en écrasant le couple Gelman entre celles-ci. C’est l’élément qui manquait à mon histoire… J’ai bien vu un débris dans le ravin, mais je croyais que c’était un parechoc enseveli alors que c’était la voiture d’Igor qui a certainement glissé là sous l’impact. La femme que j’avais prise pour la fille de Boris leur était parfaitement inconnue. Ce qui explique le manque total d’empathie de celle-ci pour les accidentés; elle était la cause bien involontaire, j’en conviens, de toute cette histoire. L’état de santé des Gelman est toujours critique, celle d’Igor passé de sérieux à critique. Beau bordel finalement.
Karine
6 mars 2011 at 23:24 //
Devoir de citoyen si bien accompli. En tant qu’infirmière, il était de mon devoir d’arrêter mais jamais je n’aurais pensé que Marc et Jean-Claude auraient pu être si utiles. Ils étaient les mains et la chaleur que seule je n’aurais pu fournir. En plus de faire la signalisation, ils sont restés auprès de Boris, rassurant Sonya qui était étendue sous le véhicule, souffrant d’hémorragie interne mais qui ne cessait de s’inquiéter de l’état de Boris, couché lui aussi, à quelques mètres d’elle. De leur fille qui semblait perdue et qui tentait de retourner dans la voiture qui sentait l’essence et qui balançait au-dessus du fossé. De son mari qui avait reçu un coup à la colonne, qui saignait de la tête et du visage mais qui restait debout, voulant à tout prix repartir avec ses deux filles de 1 et 3 ans restées seules dans la voiture avec ce spectacle en pleine face. Sans Marc et Jean-Claude, je n’aurais pu m’occuper des blessés. Devoir accompli!
Martin Larose
7 mars 2011 at 6:29 //
Chapeau à vous deux.
Line Lavoie
7 mars 2011 at 7:42 //
Une équipe gens de coeur, j’aime beaucoup ton écriture, c’est un plaisir de te lire à chaque fois. Quelle aventure!
Pascale
7 mars 2011 at 8:41 //
Wow. Quelle aventure! Par chance qu’il y avait une infirmière dans le véhicule! Bravo pour votre courage et votre sang-froid qui ont probablement réussi à sauver la vie de ces gens!
Suzanne Beaulieu
7 mars 2011 at 11:28 //
Des fois la vie met sur notre parcourt des défis que l’on a pas choisi. Cependant certains sont plus marquant que d’autre. L’année 2011 sera marquée d’actions humanitaire qui seront gravé dans vos mémoires à tout jamais. Ne serais ce que la distribution de cadeaux dans une école maternelle dans le Quintana Roo au Mexique, la collecte de fond pour le petit … en Afrique et… le passage de l’âge adulte de ton bébé… La vie nous réserve de ces surprises que l’on ne peut contrôler mais que de satisfaction et de bonheur dans tous ces accomplissements. Bravo pour votre implication et votre générosité envers l’humanité. Ces petits gestes vous font grandir et voir comment le monde est petit et semblable au quatre coin du monde.
Catherine Provost
7 mars 2011 at 11:38 //
Wow Marc, vous avez fait preuve de beaucoup de courage et d’humanité. Toute cette famille vous en sera certainement reconnaissante pour le reste de leur vie. Merci de partager ce récit et puis pour la robe de ta fille, tu nous en parlera en juin;)
marc
7 mars 2011 at 11:50 //
@ Karine — tu as été incroyable tout le long de l’opération… ton sang-froid, ton empathie et ta débrouillardise ont fait la différence. Tu as raison de dire que l’on ne saura jamais ce que sont devenues ces personnes, si nos soins leur ont sauvé la vie, mais on aura fait ce qu’il fallait. Sur Facebook, tu as écrit « J’admire le courage de mes enfants qui ont donné leur souvenir d’enfance (couverture) sans hésiter… », on peut dire que le gène de la générosité, c’est celui qui se partage le plus facilement…
@ Martin — merci, mais je pense que l’on a fait uniquement ce qu’il fallait faire
@ Line — merci pour le beau commentaire, ça me rappelle surtout que j’ai négligé ce blogue ces derniers temps…
@ Pascale — merci!
@ Suzanne — Tu as bien raison. La vie n’est pas une ligne droite et c’est tant mieux. Le film avait beau être cucu et l’émission tout autant, mais l’expression «Passez au suivant» est une des plus belles leçons de vie que l’on peut vivre.
@ Catherine — merci. J’espère que l’on a pu faire une différence. Pour la robe, sur les lieux, je suis certain que ma fille l’aurait utilisé pour couvrir les blessés, et ça, c’est ce qui me rend le plus fier d’être son papa…
Katherine Bouchard
7 mars 2011 at 12:20 //
Quelle aventure!!! Même si vous « avez fait uniquement ce qu’il fallait faire » votre générosité, votre empressement et votre empathie et j’en passe font quand même de vous des héros! Merci de partager avec nous cette aventure, c’est tellement bien écrit et ça remet tellement en perspective notre vie quotidienne et nos « petits bobos ».
Martin Larose
7 mars 2011 at 16:50 //
Marc…
Faire seulement ce qu’il faut faire c’est facile…
Prendre la décision de le faire, là réside toute la grandeur de l’être.
Guy Dallaire
7 mars 2011 at 23:27 //
Ouf ! Félicitations à vous deux. Espérons que tout le monde s’en est tiré. En tout cas, vous avez fait ce qu’il fallait !
Marc-André Gagnon
8 mars 2011 at 11:42 //
Marc bienvenu dans le monde grisant et stressant des faits divers où l’adrénaline côtoie la peur et l’angoisse. Dans ces situations-là on dirait qu’on réfléchit à la vitesse de l’éclair,qu’il n’y a pas de zones d’ombre et qu’on sait ce qu’il faut faire. Mais pour ça il faut avoir l’esprit ouvert et le coeur sur la main. Selon moi il y a 2 sortes de gens dans ce domaine. Ceux qui passent à l’action et ceux qui figent.Mais ceux qui figent ne le font pas par faiblesse ou par égoïsme mais seulement à cause de la peur.Quant à ceux qui passent à l’action je crois que ce n’est même pas une question de choix c’est inné c’est tout. De toute façon on a pas le temps de réfléchir donc pas le temps de choisir.
henriette gagnon
11 mars 2011 at 14:14 //
Il n’y a pas de hasard, que des rendez-vous…
La chance a voulu que vous passiez par là. Des situations de cette gravité nous permettent de faire surgir des côtés de nous que nous ne soupçonnons pas. Ce qui témoigne une autre fois, de la qualité des gens qui nous entourent.
Très touchée par ce que vous avez vécu, pour être tombée moi aussi sur les lieux d’un accident mortel alors que les secours n’étaient pas encore sur les lieux.
Boris Gelman
20 juin 2011 at 16:40 //
Marc, I cannot describe in words our appreciation for your help to me, my wife Sonia and my son-in-law Igor. You and Karen are the first and probably most important people in saving our life’s. We are all recovering from all the damages of this nasty accident. My wife is learning to walk again. Igor is fine and working with therapist on pain control. I had a Spinal Cord igury and I am parcialy paralyzed from the waist down. I am at the rehabilitation place in NYC working on restoration of my ability to walk again. My leg injury is healing. This accidend was a life changing event for us and if not for your help, it could have been much more difficult and dramatic.
Boris