Y’en aura pas de facile.
Je suis le spécialiste pour me compliquer la vie. Je vous ai déjà raconté comment je n’aime pas les solutions faciles, les concepts mièvres et les idées préconçues, mais tout cela à un prix. Et je ne parle pas d’argent, mais de temps. De vouloir constamment refaire le monde ou de ne pas vouloir m’engager sur la voie rapide provoque chez moi, un casse-tête de production. Au lieu de me rabattre à créer des concepts faciles à réaliser, j’ai la mauvaise manie de trouver des idées qui me forcent à user d’ingéniosité pour leurs réalisations. Le client est content. Son catalogue, sa brochure, ses communications seront différents, contrastés, originaux, mais m’auront donné des maux de tête et souvent forcé à travailler encore plus (et donc pour moins…). Un exemple : je suis à finaliser un magazine pour un client, dont je vous dévoilerai les images d’ici deux semaines; au lieu de créer une grille facile à utiliser où le texte se place systématiquement à la même place, où les photos sont sensiblement croppées de la même manière et postillonné dans un cadre précis; j’ai opté pour un montage très inspiré par le contenu. Si l’article parle de vêtement, le texte est accroché à un cintre, etc. Cela donne une publication vivante et originale… mais beaucoup plus difficile à réaliser et foutrement plus longue à faire. Je me souviens de mes premiers catalogues Chlorophylle; je travaillais sur une grille assez rigide, avant d’exploser et d’intervenir graphiquement à chaque page. Tout cela prend du temps. Du temps incompressible. Du temps de qualité puisque l’on ne parle pas ici de montage systématique. Mais je suis incapable de faire autrement. Ça va contre mes valeurs. En fait, c’est beaucoup plus simple que cela : je ne ferais pas ce métier-là si je ne pouvais travailler de cette façon. Je m’emmerderais. Et c’est pourquoi je ne m’en plains pas. Je discutais avec une amie graphiste la semaine dernière en lui disant que j’avais eu une semaine de fou. Elle me demandait comment je faisais pour tenir le rythme en me demandant si j’aimais encore ça travailler autant. Je ne vivrais pas autrement. Je ne ferais pas ce métier si je ne pouvais pas le faire comme je le fais. Le feu sacré est indispensable dans tout métier de création. Sinon, c’est l’inertie. Et l’on tombe dans la facilité. Si j’aime encore autant mon métier et si j’y consacre autant d’heures, c’est parce que je peux encore le faire en me creusant la tête, en me réinventant, en me mettant en danger. Le jour où je n’aurai plus de plaisir, je ferai autre chose dans lequel je me réaliserai autant. Dernièrement, je lisais un article intitulé « Design Under Constraint: How Limits Boost Creativity » dans le magazine Wired qui démontrait que plus nous avons des barrières et des contraintes, plus la créativité devient un élément indispensable pour résoudre un problème. Cela m’a fait réaliser que ce que je fais en me forçant à me creuser la tête est une forme d’auto-contrainte. En me mettant des barrières personnelles qui m’empêchent de dormir au gaz je me vois dans l’obligation de me surpasser. Il est là le vrai enjeu. Se surpasser. C’est bien de réaliser un dossier de belle manière et d’en être fier, mais de faire le même dossier et réussir à se réaliser soi-même, c’est encore plus gagnant, à la fois pour soi et pour son client. Le véritable salaire n’est pas toujours synonyme d’honoraires..
Clef-re
28 avril 2009 at 10:41 //
En écho, les quelques mots que j’adressai ce matin via sms au père de mes enfants, pour lui signifier à quel point, malgré son impression du moment, j’ai confiance en sa capacité à surmonter les difficultés, et à en « profiter » : « Le chemin est long, vers le meilleur de soi, mais on apprend à chaque pas, n’est-ce pas ? Et puis… chaque embûche est l’occasion de constater… qu’on est capable de la (de se !) dépasser ! »
CeQu’ilFallaitDépasser 🙂