Laissez-moi vérifier si vous me suivez réellement…
Dans mes vertes années du secondaire, alors que j’étais étudiant au Séminaire de Chicoutimi, j’avais tenté une expérience, disons-le, un peu kamikaze. Dans un cours de Français, donné par notre professeur Râteau (la mémoire étant une faculté qui oublie les choses importantes et retient les conneries, je me rappelle très peu du nom de mes professeurs, mais très bien de tous leurs surnoms…), nous avions à produire une composition de quelques pages sur un sujet dont je ne me souviens guère (!). Râteau, surnommé ainsi pour sa caractéristique moustache qui lui cachait la bouche, avait tendance, selon la rumeur qui courrait dans les corridors de l’école, à ne pas lire les travaux qu’il corrigeait. Toujours selon la même légende urbaine de l’époque, cette réputation venait du fait que la plupart des copies corrigées, qu’il nous rendait, comportaient des annotations plus souvent qu’autrement dans les premières et les dernières pages, mais rarement ailleurs dans le document. La conclusion qui nous venait directement à l’esprit (je vous rappelle, qu’on avait 15 ans) était que ce professeur corrigeait correctement l’introduction, la conclusion et jetait un oeil ici et là sur le noeud de la dissertation. Bonne tactique de correction rapide, quoi. Je me souviens, qu’au secondaire, j’avais aussi une peur bleue des exposés oraux : parader devant une classe pour expliquer, un principe ou une théorie était une torture, et comme je perdais tous mes points en Français dans ce genre d’exercice, je me rabattais souvent à mettre de l’emphase davantage sur mes travaux écrits pour remonter ma moyenne. Alors que je mettais beaucoup d’efforts dans mes écrits, la méthode correctionnelle du dit Râteau, me faisait un peu chier. J’aurais trouvé plus juste qu’il dorme pendant mon exposé oral… (J’ouvre une autre parenthèse : non que je veuille me moquer encore plus de mon professeur de l’époque, mais comme, en plus de son râteau de moustache, il était affublé d’un oeil qui louchait, il était très difficile de percevoir s’il nous écoutait (!) réellement ou pas, comme si son strabisme lui permettait d’appliquer la même technique de correction qu’à nos travaux écrits. Fin de la parenthèse.) Comme la rumeur de sa correction sommaire devenait persistante, mais qu’elle n’avait jamais été vérifiée, j’avais décidé que je tirerais au clair ce petit subterfuge. Au beau milieu de mon travail, joliment dactylographié (pour les moins de 25 ans qui me lisent, une dactylo, c’est un mix, entre un clavier très épais et plus pesant et un accordéon, avec une feuille qu’on insert à l’intérieur qui nous servait de traitement de texte à l’époque…) j’avais mis une annotation qui disait ceci : « Si vous êtes rendu ici, dans la lecture de mon travail, veuillez, s’il vous plaît, cocher cette case », j’avais dessiné un petit carré dans lequel il devait apposer un x. Je sais, c’était un peu tordu comme approche, mais je voulais en avoir le coeur net! La semaine passe. Le cours de Français revient, avec notre ami Râteau ainsi que ses copies corrigées. Je ne tenais plus en place. Commençait, alors la distribution des travaux, de la plus haute note à la plus basse (on était à des kilomètres de la réforme scolaire, hein? ), et arrivait finalement mon travail (heu… non, je ne vous dirai pas son ordre de sortie…). Je ne me souviens pas de la note et je m’en foutais, j’avais une théorie à vérifier. Je tournais les pages aussi rapidement que je pouvais afin de vérifier mon premier B.B.M à moi, mon premier sondage à vie, la consécration d’une théorie allait enfin voir le jour!!! Au beau milieu de mon travail, un x rouge était inscrit dans la case, accompagné d’un roman dans la marge de mon travail qui se résumait ainsi : « oui, Monsieur Gauthier, j’ai lu votre travail, comme je lis tous les travaux qui me sont remis, bla-bla-bla… » Bordel. Disons que la rumeur venait d’en prendre un coup. J’avais eu tort. En fait, tous les étudiants de Râteau avaient eu tort. Des années de perceptions négatives venaient de s’évanouir sous mes yeux. Le sympathique Râteau, je tiens à le dire, c’était un professeur très charmant, venait de remettre les pendules à l’heure en nous adressant un message clair : cessez de tout mettre votre génie dans les intros et les conclusions et mettez un peu de chair autour du corps de votre récit. Voilà. Encore aujourd’hui, quand je repense à cette anecdote, j’ai l’envie de remettre ça. J’aimerais pouvoir, au beau milieu d’une publicité, d’un concept, dessiner une case dans laquelle je demanderais aux consommateurs à qui je m’adresse de bien vouloir mettre un x. Pour m’assurer qu’ils ont bien lu. Bien compris. C’est sûr que des sondages d’après campagne nous le permettent; mais là, en direct, une case qui nous permettrait de vérifier notre discours, notre ton, notre façon de les aborder. Il est toujours spécial de consulter les gens après une campagne; s’apercevoir qu’une idée pourtant si claire, peut prendre une direction aléatoire quand elle est mal perçue ou incomprise. J’aime bien montrer mes concepts à des gens et les tester. Quand la personne me répond qu’elle voit ceci ou cela, ou qu’elle comprend ceci ou cela, mais pas CECI et CELA, je me dis que je ne suis pas assez clair. Que mon x n’est pas coché. Vous me suivez? √
Martin Larose
19 janvier 2009 at 15:28 //
…il s’appelait Maurice Hudon.
🙂
Richard Daoust
19 janvier 2009 at 21:04 //
Crime que c’est bon.
C’était audacieux il faut l’admettre.
Pierre Lévesque
19 janvier 2009 at 21:09 //
Bien belle histoire…. Bravo ! √ Je coche moi aussi
Clef-re
9 janvier 2014 at 17:36 //
On vous suit !