Pipi dans le Fortrel™
J’ai 10 ans. Je suis assis sur un banc de l’église Sacré-Coeur à Chicoutimi. Dans le Bronx de Chicoutimi. C’est le jour de ma Confirmation. Moment solennel pour un enfant des années 1970. En avant de moi, Monseigneur Marius Paré s’apprête à nous beurrer le front avec son huile. En arrière de moi, au fond de l’église, mes parents et ceux de mes amis, fiers dans leurs plus beaux habits. À côté de moi Dany Gaudreault, mon ami, n’arrête pas de dire des conneries. C’est un classique, les Églises provoquent les fous rires. En fait, tous les endroits où il faut garder son sérieux : enterrement, église, entrevue d’embauche, etc. J’ai un look de maffieux. Je porte un pantalon bleu marin avec des lignes blanches, une veste assortie pas de manches sur un col roulé blanc en laine d’ou émerge une chaîne en or arborant un crucifix. Ce sont les années 70, je vous rappelle. Les années ou la plupart de nos vêtements étaient fabriqués par nos mères. C’était surtout l’époque du Fortrel™. Ce tissu synthétique révolutionnaire, non froissable, raide qui avait la mauvaise manie de piquer la peau. La coupe de mes pantalons était fuseau élargi. Trop courte. Ma mère n’avait sûrement pas anticipé la mode des souliers Patof, ces souliers ballon avec talon nous donnaient une couple de pouces de plus. J’ai une classique coupe de cheveux «René Simard», quoiqu’à cause du blond de ma tignasse je ressemble un peu plus à son frère, Régis. Ces deux bouffeux de petit pouding Laura Secord.
Ça fait maintenant 3 fois que l’on se fait avertir Dany et moi. On est pas encore confirmés qu’on va devoir se confesser. Je ne me souviens pas ce qu’il a pu me dire cette fois, mais là je sens décoller du fin fond de mon âme, un fou rire de la force d’un tsunami. Impossible que je le garde, mais en même temps, je ne peux le laisser sortir. Si je le fais, on entendra ce rire jusque dans le jubé, voire même à l’Évêché, dans le centre-ville. Je me contorsionne du mieux que je peux pour l’éteindre, mais c’est plus fort que moi. Je ris. Ris. Et ris. Et là, qu’est-ce qui se produit quand on est un enfant et que l’on rit trop? Je sens tout à coup le long de ma cuisse descendre un mince filet chaud… Pipi! Je suis en train de pisser! Je suis en train de me pisser dessus. Ce connard de Gaudreault m’a tellement fait rire que j’en pisse dans mes culottes. À l’Église. Ben paquetée. Pendant ma Confirmation. Et celle de 200 autres flots. Je capote. Ma vie est fichue. Cet événement va bouleverser ma vie à jamais. Je serai celui qui a pissé devant 400 personnes à sa Confirmation. On me pointera du doigt, et quand j’aurai 50 ans, on se souviendra de moi uniquement par ce détail. On se rappellera en me voyant : hey te souviens-tu de Gauthier? Non? Ben, oui tu le connais, c’est lui qui avait pissé dans ses culottes à notre Confirmation… L’enfer. Je passerai à la postérité pour avoir uriné en public. Alors que j’entre à peine dans mon adolescence, avant même qu’apparaisse mon premier bouton, on m’aura déjà affublé de tous les surnoms inimaginables. Pissou. Pisseux… Ma vie est carrément terminée. À l’eau (sic).
Alors que je suis perdu dans mes pensées les plus noires, je sens mon déluge urinal mourir dans mon bas (blanc à deux lignes, rouge et blanc… et jaune). Voilà, j’ai enfin réussi à me contrôler. La fuite est colmatée. Je suis bien assis sur ma flaque. Je suis pathétique. En regardant autour de moi, je constate que personne n’a encore rien remarqué. Ça ne saurait tarder, car voilà qu’on nous demande de nous lever. On doit s’avancer en file indienne : Monseigneur va enfin nous nous tracer sa croix dans le front… et moi, je devrai en plus affronter les regards dégoutés de 397 personnes et particulièrement ceux de deux personnes marquées par la honte à tout jamais, mes parents.
J’ai le goût de pleurer, de disparaître ou simplement me glisser de tout mon long et me cacher sous le banc. Mais je dois me lever. Je n’ai pas le choix. Je prends une grande respiration…
Étrange. Aucune trace. Rien. Nada. Je suis debout et je ne vois rien d’anormal. Le banc est sec. Aucune flaque par terre. J’ai bel et bien fait pipi, mais le Fortrel™, ce merveilleux tissu révolutionnaire semble avoir une qualité d’absorption incroyable jusque-là ignorée de tous. Je sens l’humidité, certes. Ça pique. Ça pue. Mais ça ne paraît pas. Le bleu marin cache la tache. Aucune preuve. Aucune piste (sic). Je vais finalement m’en sortir. Ma vie ne sera pas gâchée finalement. Uniquement mon pantalon.
Manon Perreault
22 février 2011 at 8:56 //
Trop drôle!!
Julie
22 février 2011 at 16:10 //
Ça doit être une question de gènes … moi j’ai pissé en faisant la lecture devant ma classe de 1er année…. et personne ne s’en est rendu compte. Alors Vivement les anciens gros collants beiges sous les « jumpers bleus marins » 🙂
Anne
22 février 2011 at 23:48 //
Quel fou rire j’ai eu en lisant ton texte vraiment trop drôle et que de souivenirs à moi aussi.
Guy Dallaire
7 mars 2011 at 23:34 //
Je suis crampé ! Ta description des pantalons de fortel me rappele trop les shorts « physica » VARTES avec 2 lignes blanches du seminaire. Ca serrait tellement les cojones que notre voix avait du mal à muer !