Merci Alain D.
Je déguste un verre de vin rouge d’Italie alors que dans les écouteurs sur mes oreilles résonne un air de France. La larme à l’oeil. J’ai le goût de me plaindre. De chialer. Ça m’arrive quelques fois par année. Bien installé à revisiter Nougaro, Reggiani, Montand, Renaud, Brel et Ferré. Aucun Anglais. Désolé. La musique « nostalgie » pour moi, c’est la française. Les sentiments profonds sont réservés à sa langue maternelle. Point. Si j’avais la possibilité de « tagger » les chansons qui me frisent les oreilles et me frétillent le coeur présentement, j’y apposerais les mots-clés : « solitude », « amour », « passion », « tristesse », etc. Mais en bold et majuscule, le mot « SOUVENIR ». J’avais 16 ans, jeune étudiant au Cégep de Chicoutimi, quand j’ai rencontré Alain D. Un prof de Français hors-normes qui donnait le cours de chanson française. Le genre de cours complémentaire qui ne sert à rien pour 90 % des étudiants. Et tout pour 10 % des autres. Surtout. Parce que c’est ça la Vie. Avec un grand V. Cette vie remplie de cours obligatoires plates, mais tout autant de cours complémentaires qui vous font ouvrir les yeux, qui changent votre vie et transforment votre personnalité. Alain D. donnait ce cours et un autre de cinéma, tout aussi « inutile », à des enfants que nous étions, à l’époque, malgré notre presque majorité. Nous, nous nous pensions des adultes. Sans penser que l’être était plutôt plate. Alain D. avait surtout une passion pour la musique. Une grande passion. Pour tous les genres musicaux. Avec un certain recul et avec l’âge surtout, on se rend compte que ce sont les grands événements de la vie qui forgent nos existences, bien sûr, mais ce sont les détails de celles-ci qui font que l’on passe au travers ou pas. Les petits détails qui font la grande différence. Ces minuscules déclics qui nous ouvrent une porte, qui nous font découvrir des joies, amoindrir ou contrôler des peines. Dans cette classe du Cégep de Chicoutimi, ce mardi 13 septembre 1983, aux premières notes de Ferré qui chantaient « Avec le temps », ma personnalité acquérait une nouvelle facette, ma vie changeait. À jamais. Tout à coup, les mots prenaient une place importante dans ma vie. Leurs sens encore plus. Les paroles de ces chansons me frappaient de plein fouet. Ces mots que je cherchais depuis mon adolescence pour exprimer mes grandes tristesses/joies prenaient forme et exprimaient un état d’âme jamais dévoilé. Je n’étais plus le seul à souffrir. Ces mots que j’allais écrire dans des cahiers seraient ma providence. Je me souviens aussi d’une cassette (audio, pour mes plus jeunes lecteurs!) enregistrée (illégalement – ironie!!!!) par ce prof avec des chansons imprimées à vie dans mon cerveau, dans le temps que l’on ne téléchargeait pas la musique, mais la copiait sur un autre support plus mécanique (c’était si différent? Non.). Cette cassette que j’ai encore. Cette cassette qui est la graine de mon amour pour la chanson française. Qui m’a poussé à en écouter encore plus. Qui m’a donné le goût des mots. Qui a forgé un peu, qui je suis aujourd’hui. Alain D. et vous les autres enseignants passionnés, j’espère que vous savez, sinon je vous le dis, que vous changez des vies! Vous avez la chance de faire naître des passions chez de jeunes gens. De les faire éclore. Alain, je ne te l’ai peut-être jamais dit quand je te croise chez Archambault ou ailleurs, mais tu m’as appris à pleurer sur des paroles tellement belles. À pleurer et peut-être crever des abcès profonds. Et tu as changé ma vie. Pour le mieux. Ce n’est pas rien. Merci.
Martin Larose
6 novembre 2009 at 9:37 //
…un des seuls Saguenéens à comprendre la musique, d’en avoir une connaissance large et empathique.
Un érudit.
Il m’a énormément aidé dans mes premières tentatives musicales et il a été d’un support complet. Dans une région où on se targue d’être «culturellement» actif (et Dieu sait que c’est discutable…), Alain D. est un précurseur…(bien avant les Claude Rajotte de ce monde). Il a animé plusieurs émissions culturelles qui donnaient une vitrine aux artistes d’ici et nous aidaient également à en découvrir d’autres plus lointaines…Je me souviens de la boutique qu’il avait sur la rue Racine où il s’efforçait de nous dénicher des perles rares.
Un prof, un enseignant, un guide…c’est ça…C’est le type qu’on rencontre dans le couloir du CEGEP, dans une section chez Archambeault, sur la rue et qui peut t’entretenir de This Mortail Coil, de Prokofiev ou de Frank Zappa avec la même rigueur qu’un docteur en littérature russe pourrait le faire…et ce, en te donnant le goût d’aller investiguer.
En anglais, on utilise l’expression «unsung hero» pour qualifier ceux qui travaillent malheureusement dans l’ombre à nous aider à avancer…il fait partie de cette catégorie.
Roger Blackburn
6 novembre 2009 at 14:27 //
Il faut que tu écoutes l’entrevue radiophonique de Brel, Brassens et Féré
Clef-re
7 novembre 2009 at 7:05 //
Que votre témoignage fait surgir de sourires, Marc, du fond, du for, de l’intérieur… en évoquant ce suc de vie que sont les souvenirs !
Et cet amour des mots, joie infinie du goût du dire, cet oeil qui ride à perdre oreille !
Si quelques professeurs, plus que d’autres, m’ont transmis ce vaillant virus, il me semble que chacun d’entre eux, à sa manière, a semé en moi sa dentelle de paroles, son grain de vivre à l’autre, son âme-au-monde, dans une empreinte toujours vive et vibrante, après toutes ces années…
A la marge des programmes officiels, ces fameux enseignements prétendus « inutiles » m’ont tant appris, apporté, fait grandir, en m’ouvrant à des univers insoupçonnés… Rien n’est utile comme le frivole, l’à-côté, le léger ! Tout prend tellement sens, en explorant les frontières, les interdits, les à-peu-près… de nos (p)références supposées ! Mes professeurs m’ont nourrie, émancipée, accompagnée, mais ceux qui ont le plus contribué à me faire naître telle que je suis sont ceux qui m’ont bousculée, balayée, basculée au-delà du connu vers le qui-devenir ! Je leur dois mes plus belles démangeaisons neuronales, ces nouvelles soifs jamais étanchées depuis, cette curiosité permanente pour l’étrange, le souterrain, l’incongru, ce doute qui doute encore et persévère, ce mouvement vers l’ensuite… Tous m’ont façonnée à travers LEUR langage, pour sûr… et je continue à m’émerveiller du dialecte subtil et unique que m’offre chacun de mes interlocuteurs, grâce à eux, aujourd’hui !
En cela, j’ai été éveillée, aussi, par un entourage dont je réalise à peine l’influence : une mère professeur de Français, colorant le quotidien de ses accents lettrés ; un père passant sa vie à en chercher la trace, dans des fossiles, contant les mystères des étoiles au dîner…
Je voulais d’ailleurs devenir professeur, et déclencher ces éclats dans l’oeil un jour à mon tour, accompagner nos bouts d’hommes sur le chemin du lire, de l’être soi parmi les autres, du plaisir de penser, du bonheur de découvrir… mais mon parcours de vie en a décidé autrement, selon ce même élan créatif épatant, quelle ironie !
Ce goût de transmettre et de s’enthousiasmer, au hasard de mes errances professionnelles, d’aucuns l’ont senti : cela explique peut-être que l’on m’ait poussée à construire une nouvelle posture, à donner de telles facettes à ma pratique, dans une autoroute de possibles inusités ! Mettre de la poésie dans l’industrie, sans rire, quel beau métier !
Un rêve persiste, pourtant, intime, sincère, secret : apprendre un jour à lire à des enfants, petits, moyens, plus grands ! Ce que j’aimais, quand j’étais étudiante (en Lettres Classiques !) faire dépasser leurs difficultés à des jeunes qui passaient le bac à coup de poèmes surréalistes, de chansons idéales, de cassettes enregistrées (si si !)…
Ce n’est pas demain la veille que mes responsabilités familiales me permettront d’être débarrassée de l’obligation de gagner mieux ma vie (quelle expression !) que ce que permet un salaire d’enseignant en France, hélas… C’est donc sur d’autres terrains, dans des registres cousins, que je transmets la fièvre à mes contemporains !
Si tout cela avait une importance, hum ?… D’où que l’on soit, en somme, de son bout d’existence, travailler à passer le sel de son essence ?
Au plaisir de vous lire, vous et vos épices sémantiques, vos envolées décapantes, en Nougarophile ardente !
Éric Laforest
10 novembre 2009 at 21:31 //
Exite-t-il des profs comme ça encore aujourd’hui, qui enseigne avec la passion. J’espère que oui.
marc
10 novembre 2009 at 23:36 //
@ Martin
Encore une belle analyse de ta part. Je retiens « Un prof, un enseignant, un guide… c’est ça… » et tu as parfaitement raison. Je ne savais pas que tu l’avais rencontré par rapport à ta musique… va falloir creuser ça!
@ Roger
C’était un grand moment cette rencontre…
@ Clef-Re
Toujours aussi présente, explosive et poétique dans vos commentaires! Tout en demeurant très judicieuse! Vous avez su, avec prose, parler de l’influence marquante de ses professeurs qui sont, comme vous le dites mieux que moi, trop souvent sous-payés… en France comme ici. Si vous changez d’avis, je vous vois très bien debout sur une table à expliquer tout haut à vos élèves la magie des mots et de leurs sens magique…
@ Éric
Premier commentaire! Merci! Je pense que certains profs perdent la flamme à cause du système qui les empêche (lire syndicat/réforme/direction/,etc.), trop souvent hélas, d’évoluer dans leur milieu et de donner le maximum à leurs étudiants tout en se réalisant profesionnelement.
Ton interrogation est réversible : combien d’étudiants passent ou ont passé à côté de formidables rencontres avec des profs qui ne demandaient que ça? Comme dans toutes relations intéressantes, il faut deux participants…
marc
7 janvier 2010 at 11:11 //
@ Alain
Merci pour ce commentaire. Je suis très heureux que ce billet se soit rendu à toi. Tu le méritais bien
Alain Dassylva
13 février 2010 at 19:43 //
salut Marc, j’espère que tu as eu le temps d’écouter le disque de Bright Eyes. J’irai bientôt m’asseoir dans ton sofa pour en discuter. Je viens de relire mon commentaire et je me sens un peu mal à l’aise face à ce que j’ai écrit. Aurais-tu la gentillesse de l’enlever s.v.p. ? Merci beaucoup, à bientôt Alain
marc
14 février 2010 at 13:45 //
C’est fait, Alain. Tu seras toujours le bienvenu!
natalie boivin cocke
17 août 2012 at 16:25 //
Bonjour Alain, j’aimerais prendre contact avec vous, on va sans doute rééditer les romans d’Emmanuel Cocke et je me demandais si vs pensez
les faire étudier dans vos cours? J’aimerais avoir de vos nouvelles,
à bientot j’espère, Natalie